Tentons quelques pistes de réflexion personnelle à
partir du thème historique développé plus haut, quelques mises en
parallèles… qui pourront prêter à discussion. Dès lors le débat
est ouvert… On ne peut pas tout traiter. Je resterai donc dans
l'optique du sujet de départ, l'identité...
Il
me semble qu'aujourd'hui certains de ces idéaux collectifs sont en
perte de vitesse. Et la confusion paraît s'installer: société en
crise, chômage, isolement des individus, replis communautaristes,
processus profonds qui se mettent lentement mais sûrement en place…
*
Par exemple, en 40 ans (68 est
passé par là), les rapports entre hommes et femmes ont
évolué, même s'il y a encore du pain sur la planche. Pas celle à
repasser: on sait bien maintenant que tout le monde s'y est mis,
homme comme femme … Non ?...
Avec
la chute du Gaullisme, c'est aussi tout un pan de l'ancienne société
construite dans la douleur au fil des siècles, comme nous l'avons
vu, qui s'écroule. Il semblerait qu'on admette mieux, hommes ou
femmes, la part de l'autre en soi-même. On a échappé peu à peu au
vieux modèle patriarcal et dualiste pour entrer dans une ère
imprévisible où le moi individuel sort à la fois raffermi en
gagnant son autonomie et plus faible en découvrant la responsabilité
liée à toute liberté...… Je suis plus libre mais aussi
beaucoup plus seul parce que plus autonome. Tout a un prix. On
«ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre» disait ma
grand-mère dans sa grande sagesse.
Comme
le prétend Elisabeth Badinter, je ne suis plus incomplet sans
l'autre, figé dans mon identité d'homme ou de femme mais je suis de
plus en plus l'un et l'autre. La personnalité de chacun
s'enrichit et se complexifie par de multiples nuances. Une nouvelle
donne où l'identité de chacun, au sein d'une identité collective,
est revendiquée. Comment la vivre sereinement et comment l'assumer ?
*
Quant aux jeunes,
certains ne se reconnaissent plus dans certains modèles proposés
par les adultes alors que le 3ème âge comme on l'appelle
aujourd'hui (en attendant le 4ème) a perdu le rôle essentiel qu'il
jouait dans la communauté aux siècles précédents. D'une certaine
façon, le grand renfermement commencé au 17ème se prolonge ...
dans les maisons dites de retraite.
Sans
généraliser bien sûr, pour certains jeunes, on peut constater la
perte des repères familiaux, des modèles, des rites de passages,
l'absence de projets, la dilution des liens… Tout cela exaspéré
par la vitrine clinquante (et frustrante) de notre société actuelle
de consommation.
*
On ressent aussi chez certains la nostalgie
d'un passé bucolique paré faussement de tous les avantages, une
sorte de paradis perdu. Qui peut s'exprimer par un retour à la terre
(diverses tentatives de vie en communauté en autarcie plus ou moins
réussies) ou par un engagement actif dans l'action altermondialiste.
On en reparlera dans le dernier épisode.
Qui
peut s'exprimer aussi par un rejet du policé et des bonnes mœurs
sous la forme d'un retour au truculent, au sexuel, au contestataire,
comme au bon vieux temps du Moyen Age. Et la télé s'en fait le
vecteur privilégié. Mais cela devient alarmant quand, pour assurer
ses fins de mois, on s'adresse exclusivement au bas ventre ou aux
instincts primaires tels certains «humoristes» toujours très
présents sur nos écrans en «prime time» comme on dit . Ou quand
liberté sexuelle se confond avec une pornographie offerte à tous,
même aux plus jeunes sur le net. Sauf que dans le passé, le
licencieux était régulé, limité, cerné par des cadres bien
établis qu'il n'était pas question de transgresser...
*
Le politique lui-même
est en pleine crise comme si l'on voulait s'affranchir de cette
primauté qui pesait sur la société française depuis Louis XIV à
De Gaulle. Il y a un paradoxe chez l'homme (en particulier le
Français) à vouloir s'identifier à une grande figure politique qui
cristallise tous les espoirs, les fiertés nationales et à la
rejeter tout aussi vite au nom de la liberté, des idéaux
démocratiques… Aujourd'hui, on la cherche en vain... Si Bling
bling n'a pas été le modèle auquel une majorité aurait pu
s'identifier au point de cristalliser sur sa personne la fierté
nationale, je doute que le pari sur la normalité du président
normal ait plus de succès...
Actuellement
donc, l'utopie identitaire semble éclater sous les coups de boutoir
de la revendication à la diversité: le droit à la différence est
de plus en plus revendiqué. Nisette, la «sorcière», semble
renaître de ses cendres…
*
Et cela se complique avec l'afflux des populations issues de
l'immigration.
Comment faire face à l'irruption des enfants d'immigrés et d'exclus
dans les classes et assumer le problème de l'intégration ? Que peut
faire l'école à volonté identitaire et égalitaire voulue par
Jules Ferry face à la diversité de ses nouveaux publics ? Comment
résoudre le conflit entre la culture légitime, officielle, celle
des programmes et des concours ou examens, souvent celle des élites,
et les cultures ou modes de comportements de plus en plus diversifiés
des élèves ?
D'une
manière plus générale, comment reconnaître la différence de
l'autre sans l'enfermer, l'isoler dans sa différence ? Danger
toujours possible, en voulant bien faire, d'exclure et de figer
l'autre dans son étrangeté…
Comment
aussi combler un nouveau type de fracture bipolaire
qui fait voler en éclats les clivages traditionnels, un nouveau type
de fracture qui sépare tout simplement la société en deux: ceux
qui sont exclus du système et ceux qui ne le sont pas ?. Cette
fracture est une ligne de faille qui traverse les identités, les
fait voler en éclats au point de ne plus voir en l'autre qu'un exclu
du système. Le SDF, le chômeur, le déviant ou simplement le pauvre
tendent à devenir les figures de notre mauvaise conscience qu'il
n'est plus question d'enfermer comme au beau temps de Louis le
14ème...
Fracture
qui se double depuis peu de celle que certains veulent ériger, en
l'inventant de toute pièce, entre humains et sous ou non humains
(notre Ministre de la Justice réduite au rang de singe). Idées
nauséabondes mais décomplexées qui osent maintenant s'exprimer,
retour du concept de race et pulvérisation de l'identité
républicaine … Résurgence du racisme colonial de grand-papa ou
épiphénomène, ces idées raciales ne doivent pas cependant masquer
la véritable fracture, celle évoquée plus haut, sociale et
culturelle, profonde et tenace, qui brise le sentiment identitaire
collectif et favorise le repli communautaire ancré dans les
traditions. Les bonnets rouges en sont un bel exemple. Je doute que
le Français qui gagne 1000 euros par mois se sente français de la
même façon que celui qui en touche 10000. Au delà du problème
financier, c'est là que le phénomène de la distinction décrit par
Bourdieu joue à plein. Et c'est sur cette fracture que mise le FN.
Réduisez la et le vent fort favorable à Marine Le Pen deviendra
brise légère et fugace ...
Et
lorsqu'on qu'on regarde les infos, notre mauvaise conscience, nos
certitudes, nos valeurs identitaires doivent faire face à ce qui se
passe à l'échelle mondiale... Une nouvelle donne que nos ancêtres
ne connaissaient pas. J'y reviendrai aussi dans le dernier épisode
La
« belle » uniformité voulue par nos gouvernants des
siècles passés s'effrite sous le règne du multi et du pluri
(multilinguisme, pluriculturel, multiculturel, multinational). La
crise que nous traversons n'est-elle pas aussi l'écho de cet
ébranlement des certitudes, de cette angoisse face à l'éclatement
des limites, la mondialisation des phénomènes ?
Epoque
trouble où chacun, selon sa sensibilité, cherchera refuge là où
il le peut:
-repli
sur soi (individualisme),
-repli
sur une communauté (coutumes, mœurs, religion, etc…)
-resserrement
des troupes autour des bonnes vieilles valeurs colportées par
l'identité nationale (le nationalisme et ses dérives).
-front
républicain qui, vaille que vaille, mise sur une identité
nationale et républicaine qui, même si elle n'est qu'un mythe, même
si elle s'est construite dans les larmes et le sang, reste encore le
seul socle sur lequel puisse s'appuyer la volonté de vivre ensemble.
A
lire dans le 10 ème et dernier épisode….
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