... et aussi le simple plaisir d'écrire.

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Un peintre qui crée essentiellement une peinture figurative qu'on peut appeler fantastique, onirique, surréaliste,... Comme on veut... Bien que je ne sois pas insensible à toute forme d'art pourvu qu'elle me paraisse sincère et qu'elle provoque quelque chose en moi... Depuis toujours, je tente de peindre l'individu et la multitude, la matière brute et la lumière intérieure, l'arbre de vie, la femme et les racines, l'enfant et le devenir, la foule errante en quête de valeurs à retrouver, les voies parallèles, les mystères des origines et de la fin dernière... Les “SEUILS”, les félures, les passages qui font de nous d’ éternels errants insatisfaits entre mondes réels et rêvés , entre soi et autrui, entre Vie et Mort, entre bonheur et malheur... Un acte de peindre, nécessaire, à l'origine de rencontres furtives mais intenses, et qui fait naître, quelquefois, au bout d'un pinceau fragile, une parcelle de soi... ...ou tout simplement le plaisir et la douleur de créer...
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mercredi 3 août 2011

John is dead. 3ème partie. The grief ...



Voici venu le temps du deuil... Pas facile, surtout de nos jours. Eh oui, le deuil devient aventure intérieure, les pleurs se contiennent. L’endeuillé peut même mettre mal à l’aise, on ne sait quoi lui dire... On ne parle pas souvent de toi, Jean, ou fugitivement, sous peine d’être pris en flagrant délit de deuil. Permets moi que je t’appelle à nouveau Jean, l’habitude peut-être… On intériorise tant bien que mal. Et si je m’obstinais trop longtemps dans un désespoir affiché (n’exagérons rien quand même sinon tu risque de te gonfler d’orgueil et ce serait peu propice à ta sortie de purgatoire !), je mettrais souvent dans l’embarras l’entourage. Le deuil met mal à l’aise  On essayera bien de me consoler maladroitement mais mon chagrin  renvoie les autres à leur propre désarroi. Silence ! La mort passe...

!…   .... 
Que de questions tu m’as fait me poser ! Ton corps, on sait tous ce qu’il en advient mais ton âme ? … Ou tout simplement ton esprit ?...  Appelle les comme tu veux...


Peut-être s’est il évaporé avec le dernier souffle de vie ? Peut-être subsiste-il parmi nous, sous une forme inconcevable ? Peut-être est-il devenu ces particules élémentaires indestructibles, les éons (du physicien Jean Charon, tiens ! il  s’appelle comme toi…), les éons, disais-je, qui conserveraient les informations d’ordre spirituel. Ainsi notre esprit puiserait ses racines dans les millénaires antérieurs et se perpétuerait, grâce aux éons, dans les millénaires futurs. Joli, non ? … Tu réconcilierais, Jean, par cette prouesse, Mystique orientale et Physique moderne affirmant toutes deux une unité fondamentale de l’univers. Le réel, malgré les apparences subjectives et particulières, serait fondamentalement Un. On t’attend, Jean, pour que tu reviennes nous le confirmer. Les NDE, tu connais ?… Mais je ne crois pas trop à ton retour, fallait pas trop tarder en route, à moins que tu n'aies voulu rester pour je ne sais quelles raisons… Mais je m'égare dans les méandres de ta mort. A chacun donc de choisir les modalités de son deuil et la forme de la survivance ou de l’extinction définitive du « cher disparu ». (encore un euphémisme…)....

Je ne t’avais pas dit que j’avais croisé au Père Lachaise Allan Kardec, ou plutôt sa tombe, théoricien du mouvement spirite au 19 ème siècle,  tombe toujours fleurie, véritable relique.... autant que celle de Jim Morrison que tu affectionnais et  que tu rencontreras peut-être là-haut ou  en bas...

Quoi qu’il en soit, il faut que le deuil se fasse… Le travail du deuil (triste expression) qui me permettra, non pas de t’oublier, mais de penser à toi sans peine et chagrin… Et tous les coups sont permis, certains allant malheureusement à l’encontre même de ce qu’il faudrait faire…..... Tu en as refusé deux, l’inhumation et la thanatopractie pour te décider finalement pour la crémation
La crémation a le vent en poupe, ce qui réserve quelquefois quelques surprises au moment de la dispersion des cendres... Sans surprise, tu l’as choisie. Ton passé d’anticlérical invétéré as fait que tu t’es enflammé pour cette solution radicale. Peut-être pour épargner tes proches mal préparés à frayer avec un feu associé à la purification mais aussi encore trop souvent au châtiment...comme un arrière goût de bûchers de triste renommée…....


Tu n’as pas choisi non plus de te refaire une beauté de dernière minute dans un beau salon funéraire. Savais-tu qu’on en est venu quelquefois à personnaliser le cercueil en fonction du métier, du violon d’Ingres, du sport favori du disparu… cercueils en rotin pour écologiste, en carton pliable pour crémation, en berceau pour nostalgiques de l’enfance, avec coffret intérieur pour bijoux, ou biodégradable en 8 heures pour immersion dans l’océan... 

J’ai tenté d’imaginer le contenant qui aurait pu te convenir mais j’ose à peine te révéler le résultat de mes cogitations. Un cercueil plombé en forme de boule de pétanque (mais ton arthrite avancée eût empêché la position fœtale nécessaire). Pour évoquer tes anciennes illusions, j’ai pensé aussi au marteau et à la faucille mais j’avais trop peur que tu n’eusses pas la côte (d’Adam) parmi quelques millions d’âmes errantes issues des goulags… La vigueur sexuelle que tu as su garder sur le tard, les infirmières ne me contrediront pas, aurait pu aussi donner naissance à une œuvre maîtresse, s’élevant comme un phare dans la morne plaine d’un cimetière mais… il eût fallu des obsèques, disons, ... très privées. J’avais pensé aussi à t’envoyer en orbite (ça commence à se faire aux USA: 10 000 euros pour 63 millions d’années de manège, ça vous rapproche sans nul doute du paradis…).  A défaut, on aurait pu te cryogéniser à –196° mais là aussi la technique n’est réservée qu’aux plus riches passant brutalement des plages exotiques de leur vivant au luxe d'une congélation temporaire … Ils veulent briser les chaînes de la mort mais gare à ne pas briser tout bêtement la chaîne du froid... Et d’ailleurs je ne crois pas que te revoir frais comme un gardon dans quelques centaines d’années soit la meilleure des choses qui puisse arriver au genre humain de ... Excuse moi pour ma franchise...

Avec la crémation, tu as refusé de te maintenir coûte que coûte parmi nous, les vivants survivants.
 
En refusant de te maintenir à tout prix tel que tu fus, tu nous aides à mieux faire ton deuil, à accepter la mort des morts … Aurais-tu pressenti que, au lieu de mourir « pour de vrai », tu risquais de venir hanter nos jours et nos nuits en ne devenant qu’un « cher disparu » comme on dit maintenant avec pudeur
Là-dessus je vais te quitter mais pour te faire enrager une dernière fois, je vais te citer Papa Freud auquel tu préférais San Antonio, chacun ses goûts… Freud disait que nous ne savions renoncer à rien. Faire son deuil, c’est revenir au principe de réalité, donc de plaisir, c’est accepter le manque. Nous sommes tous un peu comme le mélancolique décrit par Freud, ne sachant renoncer à rien, inapte au deuil. La seule solution est donc d’échanger une chose contre une autre, aimer autre chose, le monde plutôt que soi, les vivants plutôt que les morts, ce qui est plutôt que ce qui fut... Tu nous y as aidé …
Salut Jean… Merci pour l’interview d’outre-tombe… A un de ces jours, là où tu es...

 This is the end
Beautiful friend
This is the end
My only friend, the end

Of our elaborate plans, the end
Of everything that stands, the end
No safety or surprise, the end
Ill never look into your eyes...again

***

En épitaphe, le beau poème de NaTaLym

Ode à la mort

Le livre de vie s'écoule, feuilles par feuilles
Au-delà de nous, c'est le deuil
On cherche, on trouve le déclin
Il nous entraîne par la main
Eau froide, eau pure
Coule sur les murs
Le coeur écoute sa parure
Image figée d'une pluie d'été...

Le livre de vie s'écoule, feuilles par feuilles
Vole au gré du vent
Sonne le deuil
Attends l'après vie sur le seuil
Ode à la mort
Qui frappe encore...

Au-delà du monde, l'univers
Système solaire, si petits nous sommes...
Dans son sillon
Attend que viennent les rayons
Atmosphère sans lendemain
Sans infini, monde clandestin...

A présent
Le livre de vie s'écoule, feuilles par feuilles
Vole dans le vent
Donne le deuil
Attend la suite
Du glas, encore
Ode à la vie, ode à la mort
Qui frappe encore...
Qui frappe encore...


http://profile.myspace.com/index.cfm?fuseaction=user.viewprofile&friendid=102668574
Quand j’ai écrit ce texte en avril 2009, il s’agissait d’une petite fable « parabolesque » mais qui témoigne certainement de cette peur de la mort qui nous étreint tous. En novembre 2010, la réalité me rattrapa avec la mort, bien réelle celle-ci,  d’un ami ...


Petit codicille:


Vivre et mourir vont ensemble même s’il s’agit de la chose la plus difficile à accepter. . L’enfant meurt dans l’adulte et chaque heure passée dans chaque heure présente. La loi de la vie est la loi du deuil. C’est pas moi qui le dit, c’est Freud et pour faire bonne mesure citons les mots de Dieu… Pas le Big Boss… Je veux dire par là  François Mitterrand: “Jamais la mort n’a été aussi pauvre qu’en ces temps de sécheresse spirituelle où les hommes, pressés d’exister, paraissent éluder le mystère. Ils ignorent qu’ils tarissent ainsi le goût de vivre d’une source essentielle.”

l’Homo Occidentalus a feint de se croire immortel. La mort était devenue accident, anomalie. La société moderne a proscrit tout ce qui pouvait être désagréable dans le quotidien. Même si l’insupportable, la violence, la mort, reviennent en force par le biais du grand ou du petit écran, mais comme banalisées, en dehors du réel, donc tolérables car étrangères et lointaines... 
Nous avons perdu ce rapport particulier avec la mort, ce qui nous la rend d'autant plus redoutable à force de vouloir la nier… Mais les choses semblent bouger… On s’oriente désormais vers l’amélioration du mourir en rendant au mourant sa dignité (soins palliatifs): intégration de la mort dans les études médicales, travaux de l’université de Chicago,  information du mourant sur son état par les médecins finalement soulagés de ne plus devoir assumer une responsabilité insupportable. Un documentaire percutant ébranla l’Amérique, intitulé “Dying”, dans lequel 4 agonies étaient filmées pendant des semaines comme un phénomène ethnologique. Ce fut un premier virage... On y retrouve le modèle de la mort romantique du 19 ème, de la mort familière et publique du Moyen Age, mais aussi celui de la mort solitaire et de la mort niée, refusée.....
Il va falloir composer, trouver un équilibre…. Réapprendre à mieux mourir pour mieux vivre.  ....

John is dead. 2ème partie. The funerals ...







Aujourd’hui est donc venu le temps des funérailles, de tes funérailles.… Au fait, un ami du Web m'a suggéré plus haut que tu aurais pu t'appeler Jean-Pierre. Si l'on divulgue que tu arbores comme patronyme resté jusqu'ici secret par discrétion le doux nom de Tombale... Jean-Pierre Tombale serait du plus bel effet... Avec comme épitaphe, si tu le permets: " Il fut Jean-Pierre Tombale, le bien nommé, mais sur cette Pierre, il ne bâtit aucune église... Grand bien lui fasse..."


Bon, un peu de sérieux... Je sais que cela t'aurait fait plier en deux (si l'étroitesse du lieu l'avait permis...) mais ce n'est peut-être pas du goût de tout le monde.


Tout le monde n’a pas la chance d’être enterré sur la plage de Sète malgré une dernière supplique ou en plein Paris au Père Lachaise (longue pour la plupart…). Il faut bien admettre que tu nous auras fait marcher quelques kilomètres jusqu’au dernier moment. L’homme moderne a expulsé les cimetières hors des villes, occultant ainsi la mort physiquement pour l’occulter ensuite psychologiquement. Tu as voulu un enterrement civil, te connaissant c’était dans la logique des choses… Je te voyais mal expédié ad patres, béni, goupillonné, encensé avec l’immense consolation de savoir que Dieu, dans sa grande clémence, t’avait gardé un p’tit lopin de paradis, à toi qui détestais jardiner sauf de temps à autre dans les « vignes du seigneur »…


On t’aura au moins épargné ces assemblées d’amis et de proches dont la majorité ne croit un traître mot (traître ?... ) de ce qu’invoque un curé bien en chaire… Mais ne nous moquons pas. Pense un peu à la grande solitude du prêtre qui accomplit un rite dont lui seul connaît le sens, devant un public muet et ignorant: paroles liturgiques balbutiées, hésitations, malaise confus, signes de croix maladroits.… Il paraît que l’Eglise s’est adaptée, la famille peut personnaliser ses funérailles. Tu n’as pas voulu cela mais sache que depuis quelques années, les proches peuvent participer. On aurait pu, entre deux signes de croix, proposer une lecture, un texte personnel, un poème, une musique... J’aurais pu retracer ta vie, vaste chantier, dont j’aurais dû occulter des pans entiers. On est quand même dans un espace sacré… Je ne sais pas si je te l’avais raconté mais j’ai connu, personnellement, à l’enterrement d’un jeune voisin mort brutalement, ce désarroi stoïque et indifférent de l’assistance devant un rituel méconnu mais, lorsque les premières notes d’une chanson d’un groupe qu’il aimait, les Doors pour les connaisseurs, lorsque ces premières notes ont retenti dans l’église, une émotion d’une ampleur totale a saisi, tétanisé l’assistance. Plus question de l’au-delà mais une irruption brutale, intolérable d’un vécu affectif à jamais disparu….
Tu as choisi la simplicité de l’enterrement civil mais c’est vrai que ça manquait un peu de decorum, de panache.... J’aurais bien vu quelques notes du « This is the end » des Doors justement pour égayer l’atmosphère… C’eût été du plus bel effet… Il nous faut bien remplacer les rites obsolètes par quelque chose. Tu n’avais pas prévu que la « Belle » viendrait si tôt te prendre par la main mais tu ne vas quand même te la faire (la belle), en tout bien tout honneur, en nous plantant là comme des pauvres survivants, statufiés sous une pluie battante, empruntés et maladroits…. Expédier aujourd’hui dignement, sans avis de réception, sous une simple plaque tombale, un pauvre corps, c’est pas du billard.. Parlons en justement. Ah! Ces grands corbillards empanachés de jadis et ces femmes drapées de noir, voilettes au vent, dignes d’une scène des « Hauts de Hurlevent »... Tu as manqué ça. Un vrai drame ! Tout à fait adapté aux tendances cabotines que tu as toujours eu un peu, avoue-le… Pardon, j'oublie que c’est un peu tard pour un aveu posthume...


D’une certaine façon, heureusement que tu n’as pu assister à tes propres funérailles. ..Tu t’en faisais certainement une fête mais on est toujours déçus. Quand on pense que certains rêvent d’y assister en tant qu’acteur et spectateur !Brrrrr !…



Les solennités sont à la baisse, ça manque de « gueule »….et tout ça reste un peu guindé. Exception faite de quelques uns qui savent encore libérer leur chagrin, que de retenue !... Compassion et airs compassés, insensibilité ou sensibilité refoulée, stupeur, peur et incompréhension. Allez ! Comme tu as toujours été un peu dur d’oreille et que, de toute façon maintenant, dur de la feuille tu resteras, ainsi soit-il, je vais la tendre à ta place, discrètement.… Le vent propice m’apporte quelques bribes de phrases (dont je n’oserais pas te répéter la teneur)...
“Tu prends ta voiture ou on y va ensemble !” / “Pas d’chance. C’est l’heure de pointe, on n’arrivera jamais à temps” / “Tout doit être parfait” / “Il aurait aimé que ce soit ainsi” / “Pas d’église mais une petite bénédiction, il n’était pas croyant” / “Dans la plus stricte intimité” / “Toutes mes condoléances” / “On aurait dû. Si j’avais su...” / “C’est pas possible !” / “On n'a rien à se reprocher, on a fait le maximun” / « il était beau quand même, on aurait dit qu’il dormait »/ “Pourquoi je n’ pleure pas ?”.
Petits arrangements avec la mort, avec nos morts et notre mort prochaine... Paroles vides, paroles de déroute…


Mais t’inquiète, ce n’est pas leur faute. Nous sommes tous victimes. Et toi, vieux sacripant, tu n’aurais pas fait mieux à leur place…. La faute est peut-être due à la suppression progressive du deuil, des rites de mort, médiateurs essentiels entre la vie et la mort., laissant le vide autour d’eux sans qu’on sache réellement comment le combler... Mais je t’en parlerai bientôt. Tu n'en as pas fini avec moi...


Sache pourtant que, plus tard, je n’irai pas sur ta tombe pour te serrer la pince… Il m’est difficile de m’adresser au marbre, ou au granit en ce qui te concerne, de deviser avec le peu de ce qu’il reste de toi sous cette terre et que je n’ose imaginer… Tu fus chair (et tu as su en abuser, sacré dragueur...) mais, à mes yeux, ce qui fit ton humanité n’est pas un assemblage d’ossements et de viscères mais ton esprit… Je doute, s’il est encore d’un monde quelconque, qu’il réside dans cet espace bien peu confortable… Pour ma part, ce que tu fus s’est réfugié dans l’espace intime de mes neurones, le sanctuaire du souvenir, bien plus au chaud que dans l’antre glacée de la tombe, avec l’électricité en prime !… Il me plaît plus de t’y convoquer tel que tu étais, généreux, sensible, un peu vantard aussi, que de rendre visite à une tombe qui ne contient plus que du vide en formation… Mais rassure toi (bien que je doute que cela te fasse aujourd’hui ni chaud ni froid…), certains ou plutôt certaines viendront te rendre visite par besoin ou par courtoisie. A chacun ses « petits arrangements avec la mort »… Une seule chose: pour une fois, tais-toi, écoute et laisse parler les autres….Sacré Jean-Pierre, tu voulais des funérailles dépouillées, tu as été servi et si tu voyais à quoi tu as pu échapper (je te raconterais plus tard à quelles funérailles délirantes on peut assister, surtout aux USA), tu en mourrais de rire, si ce n’était déjà fait… :) Pardonne moi cette boutade un peu facile mais je n’ai pas pu m’en empêcher…


D’ailleurs te connaissant, je ne doute pas de ton sens de la répartie si , malencontreusement, tu t’étais trompé et que tu te retrouvais, le bec sans l’eau bénite, devant ton Créateur… J’imagine ta réaction…


 « Salut Dieu ! Ou Allah ou Yahve, comme tu préfères…J’aimais bien Zeus, il me ressemblait plus avec son penchant pour la gente féminine mais faut bien faire avec son temps. Je te donnerais bien du « tu », tu me connais comme ta poche révolver mais avoue que c’est pas facile de tutoyer un « Trois en Un »… Et qui me dit que ce n’est pas encore un coup à toi, un miracle, le plus étonnant, faut bien dire: peut-être n’es-tu que le résultat du Néant ou de la Nature qui a tellement d’imagination ? Le miracle suprême serait que là, devant moi, tu ne sois qu’illusion, ectoplasme, hologramme, que sais-je ?, créé par une Nature farceuse à partir de ta non-existence…


Mais bon, jouons le jeu. Que dire pour ma défense ? Pas besoin d’avocat, ce serait de toute façon celui du diable… Si beaucoup de ceux ou celles qui croient en toi sont sincères, je n’en doute pas, j’invoque pour tous les Jean identiques à moi-même qui ont traversé les siècles d’avoir « péché » en toute honnêteté. Puisque pour moi tu n’existais pas, je n’ai donc pas massacré en ton nom, je n’ai pas violé en ton nom, je n’ai pas brûlé mon prochain en ton nom, je n’ai pas forcé quiconque par tous les moyens à croire en ton nom, je n’ai pas accumulé richesses et joui du pouvoir en ton nom, je n’ai pas renié, excommunié en ton nom, je n’ai pas suivi les conventions sociales, mis mes beaux atours pour te célébrer le dimanche et jeter en suite quelques centimes dans la sébile de celui qui n’avait droit qu’au parvis de tes demeures... Je n’ai pas fustigé ce qui peut préserver de la maladie en ton nom, jeté l’anathème sur tout ce que ton représentant sur terre considère comme déviant, en ton nom… J’assume mes erreurs, mes petits égoïsmes, en mon nom…


Et avoue que tu n’es pas toujours très clair, j’en connais des pistonnés … en ton nom. Se croire prédestiné, dès avant la naissance, au salut final, c’est pas du piston, ça ?… Bon, j’arrête là, si tu me prêtes « vie » dans ton au-delà, je reviendrai sur ce Dialogue avec toi un peu plus tard… Il y a de quoi l’étoffer... Allez ! Sans rancune. Dieu soit loué ! (au fait, combien la caution ?)… »


Il est temps de fermer ton clapet, Jean-Pierre… Je vais te laisser prendre un peu de repos, la journée a été rude, et je reviendrai bientôt te voir, une 3ème et dernière fois, pour deviser un peu sur le vaste problème du deuil… Même mort, faut que tu continues de nous coller aux basques… et pour longtemps.

Comme transition, citons ici Saint-Exupéry: “Une civilisation se juge à la manière dont elle soigne ses malades et dont elle enterre ses morts”.




John is dead. 1ère partie.





Allez, une fois n’est pas coutume, je vous convie aux derniers instants d’un ami...

Jean est parti, nous a quittés…. Je n’ose pas prononce l’expression tabou, « Jean est mort » …. Notre époque cultive l’art de l’euphémisme pour épargner nos « sensibilités » d’homme moderne ou cacher la cruelle réalité des choses qui gratouillent nos consciences (comme la femme de ménage promue technicienne de surface.. avec le même salaire). Alors disons le crûment: Jean est mort… Ou « John is dead », ça a un peu plus de gueule… Un p’tit côté Lennon…

Mais qui est Jean ? Moi, vous, tout le monde… Un anonyme qui n’a pas fini sur le trottoir du Dakota Hôtel. J’aurais pu l’appeler Vincent, François ou Paul pour faire un p’tit clin d’œil à Sautet…. J’ai trouvé que Jean sonnait bien, comme les trompettes de l’Apocalypse… J’avais pensé à Lazare mais c’est une exception qui conviendrait fort peu aux propos qui vont suivre… Il me fallait un vrai mort, un pur et dur, à « six feet under » ad vitam eternam…

Avant la fin, nous avons beaucoup échangé… Car pour Jean il s’agissait bien d’une fin. Comme la plupart des hommes, il refusa jusqu’aux derniers instants « les petits arrangements avec la mort ». Il n’était pas du genre à s’aveugler en s’inventant un après, un ailleurs, comme nous pouvons aussi nous créer des petits arrangements quotidiens avec la vie, nos manques, nos incapacités à agir... Il n’était pas du genre à transiger, Jean, à pactiser avec Dieu. Un peu avec le diable, avouons le... Dieu ait son âme ! Oups!... Excuse moi Jean mais 2 millénaires d’habitudes ne disparaissent pas si aisément....

Je dois dire qu’il m’a bluffé jusqu’à la fin, prêt à affronter sereinement le Néant ou le Mystère (il était plutôt agnostique) alors qu’il n’avait pas le recours des béquilles conçues par un Imaginaire religieux… Pas d’Extrême-Onction, tout juste une extrême ponction imposée par un acharnement thérapeutique...

Mais chapeau, Jean, bien que tu n'en portât jamais !… Résister ainsi à cet étrange pouvoir de l'esprit à se tromper lui-même, ce n’est pas donné à tout le monde. J’ai écrit récemment à une amie sur le web que Mermoz ou Saint-Ex, je ne sais plus, avait fait cette allusion au renoncement divin, réelle condition de la grandeur humaine... Puisque c’est choisir d’être libre mais aussi d’être seul face à l’Après... Tu as su faire tienne cette position courageuse: assumer sa solitude dernière et sa disparition définitive…

Mais partir n’a pas été de tout repos éternel… Tu m’avais confié ton désir de choisir toi-même l’heure du grand saut sans élastique…. Problème: l’élastique médical est solide et personne n’osa le couper pour accéder à ton désir.

Je suis allé te voir au fin fond de ces mouroirs modernes et aseptisés. Les visites étaient peu nombreuses. Pas de bol, Jean… Au beaux jours du XIXème romantique, la mort était belle, on pleurait abondamment et les deuils étaient exubérants. Tu es mort trop tard. Forcément, fallait pas naître trop tard non plus… C’est vrai que t’es pas toujours beau à voir et, c’est pas ta faute, mon vieux, mais tu nous rappelles ce qu’on veut, nous hommes modernes, à tout prix oublier, tu nous rappelles ce qu’on sera inévitablement… Alors faut pas nous en vouloir: les aspects extérieurs de la décrépitude, de la maladie et de la mort, on n’en veut plus. On n’est plus au Moyen Age quand même… Là pour le coup, t’es vraiment né et mort vraiment trop tard. Jadis, tu n’aurais effrayé personne. Faut dire que la mort, on connaissait, c’était une « amie » de tous les jours... On savait l’affronter et surtout s'y préparer. Tu aurais eu à tes côtes ton "Memento mori", petit recueil de la bonne mort, tu serais mort chez toi, entouré des tiens... A moins bien sûr, avec ton manque de bol habituel, de t’être fait étriper dans une guerre de cents interminable (aujourd’hui, on est plus rapide et efficace, modernité oblige) ou égorger sur les bonnes routes du royaume… Mais bon ! tout n’était pas parfait non plus en ces temps pourtant bénis par Dieu, à l’abri des cathédrales, et sous la protection des prières de moines « désintéressés » qui n’avaient pas encore découvert les vertus du fameux Chaussée…

Mais tu nous quittes en 2009 !… On n’est plus des brutes . La médicalisation, le confort, l’intimité, l’hygiène personnelle ont progressé. On n’a plus la sensibilité grossière de nos ancêtres, nos sens affinés ne supportent plus les odeurs ou les souffrances de la mort telle qu’on la vivait auparavant. Les charniers, c’était d’une autre époque comme ce splendide Cimetière de Innocents où les ossements s’entassaient dans des niches devant lesquelles on venait faire son marché !... Répugnant !... Insupportable !... Ou à la rigueur à quelques milliers de km de notre bon pays. Un charnier roumain ou bosniaque, ça remue les consciences mais épargne nos sens (surtout la vue et l’odorat) polis par les bonnes mœurs et la civilité…


Tu dois donc bien comprendre que tout cela rend la promiscuité avec la mort plus lourde à supporter. La mort laide et sale, et donc la mort cachée, a fait son entrée sur la grande scène de notre vie moderne… Moi qui te connais bien, je suis venu te voir mais il est vrai qu‘un sentiment diffus de malaise planait sur nos rencontres… A mon corps (et esprit) défendant...

Moi le visiteur occasionnel, je me sentais de trop dans ce ballet ininterrompu des rites hospitaliers: allées et venues, perfusions, fébrilité, isolement, paravent, malaise et métal froid, omniprésence du blanc, du pur, du non souillé auquel tu faisais offense, sourires contraints, solitude, sans objets et amis chers, phrases toutes faites et condescendantes, “Comment il va, le p'tit monsieur aujourd’hui ?"… Pauvre Jean, à peine occis, même pas encore réincarné, et l’on te parle déjà comme à un enfant (ou à un débile peut-être à cause de ton karma peu reluisant). Et le temps passe... Et l’hôpital, fait pour guérir, s’acharne à esquiver la mort qui consacrerait son propre échec …

Ce que tu vis là, de cette façon, ces derniers instants, un homme du Moyen Age les aurait qualifiés de « mauvaise mort  ». La mort maudite d’autrefois était la mort inaperçue, sans conscience... Curieusement, elle est devenue la bonne mort, la belle mort d’aujourd’hui. « Il est mort dans son sommeil.. » « Il a eu une belle mort, il ne s’est pas réveillé… » La mauvaise mort, au yeux du personnel, est celle de celui qui sait, qui proteste et se révolte...

La dissimulation s’installe et l’on ne peut plus se préparer au départ comme par le passé. L’heure des derniers adieux, des dernières recommandations, heure intime ou solennelle en public, fait partie d’un passé révolu. On part sans rien dire...
Alors, Jean, un dernier effort, n’as-tu pas compris qu’il vaut mieux mourir discrètement, sans qu’on s’en aperçoive, à l’abri des regards, sans perturber le service… Hôpital ! Silence…


Et c’est dans le silence que tu nous as quittés… Dans quelques jours viendra le temps des funérailles. Je vous laisse méditer un peu et boire un p'tit remontant avant de passer aux réjouissances... dans peu de temps.



mardi 2 août 2011

Réflexions sur un (et dans) un crâne.




Les peintres classiques aimaient bien agrémenter leurs « natures mortes » d'objets symboliques qui souvent rappelaient les 5 sens. Les Anglais les appelaient « still life », un point de vue légèrement différent...
On y trouvait aussi souvent glissé entre une pomme bien mûre et un homard  fraîchement capturé, un crâne qui était censé nous rappeler notre rude condition de mortel. On appelait aussi ces petis chefs d'oeuvre des « vanités ». Sur ce tableau du 17ème, pas de homard mais des objets, de l'argent nous rappelant notre vain attachement aux choses de ce monde...
 « Vanité des vanités, tout n'est que vanité... »  S’ouvrent alors  les orbites fixes et profonds du crâne. Notre regard s’arrête  dans cet autre regard, vide... Il fut ce que je suis et je serai ce qu’il est. Etrange tête à tête, presque complice. Etrange jeu de miroir où tout observateur peut se reconnaître, quel qu'il soit, dans cette structure identique qui protège ce que nous avons de plus secret et de plus divers pourant...
Symboles de mort, de la mort en face, ou face à face avec la mort, vacuité du monde où tout vit et meurt, l’enfant en l’adulte et chaque heure passée en chaque heure présente...
Quand on pense au temps passé pour certaines ou certains à “se ravaler la façade”, à choisir une nouvelle coiffure, une nouvelle couleur de cheveux qui ne sera jamais celle que l’on voulait vraiment ! Certains même vont jusqu’à se reblanchir les dents mais que reste-t-il de nos illusions, face au crâne, face à notre devenir à tous, irrémédiable ?...
Aussi que de souffrance endurée,  d’énergie dispensée à analyser, interpréter, gérer ce qui se passe dans notre esprit, notre crâne ! On se “prend la tête”, comme on dit, et cela me rappelle certaines expressions: mets toi bien ça dans le crâne !  - mais qu’est-ce-qu’il a dans le crâne !.
J’y vois là aussi comme un clin d’oeil de la nature. Dans l’être-matière, tout disparaît, sauf le crâne, imputrescible, qui subsiste comme un rappel, un peu éternel. Les hommes préhistoriques ou notre chère Lucy nous ont souvent légué leurs crâne.
Objet double, évoquant l’origine (quand le bébé apparaît s'il n'en fait pas qu'à sa tête !) et la fin, la matière et l’esprit, la présence et l’absence... devant lequel, et pour cela, il est si difficile de réfléchir. On reste souvent, dans la contemplation du crâne,  au niveau de la sensation, rien d’intellectualisé, rien de métaphysique, plutôt dans une sorte d'hébétude. Comment cela peut-il être que cela soit aussi une part de moi ? La réflexion tourne en rond, sur elle même. Le crâne, à la fois vie et néant, semble contenir questions et réponses. On tourne autour du crâne comme on tourne autour du pot, ne sachant par quel bout l’entreprendre...

Pour prendre du recul, j’ouvre alors mon dictionnaire, pas celui des symboles mais mon dictionnaire tout bête du certificat d’études et je peux y lire ceci:

“Cavité osseuse qui contient l’encéphale, siège de la pensée. Assemblage de 8 os, de forme ovoïde, unis par des sutures, des espaces membraneux non ossifiés, les fontanelles. On distingue la voûte crânienne bombée dont le sommet est le vertex et la base creusée de trous pour le passage des nerfs crâniens, moelle épinière, artères et veines irriguant le cerveau”. Fin de citation. Il est remarquable, qu’à la lecture de cette définition des plus neutres, objective, au style très “encyclopédique”, on puisse y trouver des mots qui sont aussi symboliques: cavité, voûte, ovoïde, encéphale et pensée... Comme si l’objet matériel était, dans son essence même, déjà puissamment symbolique...


Certaines réminiscences surviennent.

Sommet du squelette, impérissable, siège de l’âme et de l’esprit,  à l'image de la caverne, on lui a voué un culte. Principe actif, de force, de vie, il peut devenir trophée. Et s'accaparer le crâne d'un ennemi ne peut jamais faire de mal...
Au sommet du corps, en forme de coupole, il semble comme le ciel du corps humain. La tête sanctifie donc le lieu où elle est enterrée. Le corps, simple charpente, est secondaire mais la tête fait le lien avec l’au-delà, avec nos origines. Détentrice du principe de vie, elle devient un maillon dans la vaste chaîne humaine.  Les alchimistes, experts en la matière,  s’en serviront d’ailleurs pendant les opérations de transmutation et n’est-il pas plus belle image que celle d’Orphée, décapité par les femmes de Thrace, et dont la tête, attachée à la lyre, donnera naissance à la poésie...
Des correspondances verticales s’établissent ainsi entre le cosmos, la nature, et l’homme. Ciel et Montagnes sont sacralisés...Les yeux sont associés aux étoiles et le cerveau au nuages.
Symbolisme de la colonne qui relie le haut et le bas, le divin et l’humain. La colonne vertébrale, affirmation de soi, est alors pierre dressée vers le ciel, axe du monde, arbre de vie, support du monde.  Au sommet de la colonne vertébrale, le crâne, siège de la pensée, est aussi image de l’esprit divin, comme le ciel supporté par l’axe du monde.

Voûte et ciel... Caverne et montagne... Les deux extrémités du monde condensées dans un crâne éclairé par la lueur vacillante d’une bougie...


Témoin muet, objet imputrescible préservé à jamais de la corruption, en marge désormais du cycle éternel de la vie et de la mort, le crâne nous suggère-t-il autre chose ?  Qu’il est tout cela, peut-être, et bien plus encore, plus que l’être anonyme disparu. Une somme, une synthèse de tous les morts des millénaires écoulés. Et surtout, un révélateur, un catalyseur d’une symbolique complexe et multiple.


Dans un tableau du peintre Poussin, le crâne, perché sur un tombeau, ne dit-il pas au passant: “Moi aussi, comme vous, j’étais en Arcadie.” ? Ne nous demande-t-il pas alors  de réfléchir sur nous-même et notre propre existence, de  réfléchir et d’entreprendre l’aride, et pourtant salutaire, introspection ?...
Au delà du miroir, pénétrons alors dans les tréfonds de l’espace crânien, laissons l’esprit vagabonder et, du néant, de ce que je croyais la mort, naîtra peut-être, la lumière éclatante, la vie de l’Esprit retrouvée...

 je contemple, de l’extérieur,  le crâne, caverne miniaturisée, tout en étant moi-même enveloppe, réceptacle, caverne de ma propre pensée. Le crâne devrait, s'il jouait pleinement sa fonction que l'artiste veut lui faire jouer,  être finalement un guide, un intercesseur entre ce que je suis et, plus conscient de ma finitude et de la vanité des choses, ce que je pourrais être.... C’est-à-dire une réflexion sur la mort qui est prélude à la  naissance d'un autre  moi-même, plus spirituel, débarrassés des oripeaux de l’ancienne condition, préjugés, dogmes et passions, attachements inutiles et vains. Le crâne est bien alors le creuset de l’alchimiste d’où naîtra la transformation. Il symbolise bien sûr la mort, le temps mais aussi l’esprit renaissant et la constatation lucide que, durant toute notre existence, nous passons sans cesse par des alternances de petites morts et de naissances annonciatrices de nouvelles vies. Mourir à soi-même, en soi-même,  pour pouvoir renaître autre. On peut citer ici Laurent de Médicis quand il parle de l’amour du beau et du bien: “ Quiconque vit pour l’amour est conduit à la mort car quiconque vit pour l’amour doit mourir d’abord à tout le reste.”. Finalement regarder la mort en face n'est-ce pas aussi, une fois les premiers moments de peur viscérale dépassés,  se consolider, se modifier, s’harmoniser.
Et c’est le crâne qui, d’une certaine façon, dans la brutalité même de son apparence, déstabilise et permet cette perception  plus affinée. Les deux orbites sont alors comme des petites fenêtres qui s’ouvrent sur l’éternité qu’elles renferment. Et c’est par la mort, son image symbolique du moins, qu’on peut s’affranchir de l’espace et du temps, aller à la rencontre d’une mémoire collective, de tous les morts passés de l’autre côté du miroir, et d’une certaine façon, aller à la rencontre de sa propre mémoire, de son moi profond, revisité et reconsidéré. C’est la connaissance qui sauve: me connaître, c’est me comprendre, me saisir comme objet distinct et distant, face au crâne, afin d’être rendue à moi-même, revenir à soi... Une vérité simple et nue mais brutale comme le crâne qui me fixe et me mène, d’un regard vide, au plus profond de l’être.

Ci-dessous, un détail d'un tableau que je n'ai plus et dont j'ai égaré la photo de l'oeuvre en son entier. Mais qu'importe ! Tout n'est que vanité...  

lundi 1 août 2011

Entre la vie et la mort ...




18/02/2008:  ma femme est victime d’un accident très grave de  santé.  22/03/2008: 1ère publication.

J’ai souvent été attiré par tout ce qui concernait la Mort… Bon nombre de mes toiles y font allusion même si elles laissent une porte de sortie, un échappatoire possible sous forme d’une lumière, celle du vivant… Les représentations picturales, sculpturales, cinématographiques, de la Mort ne me laissent pas indifférent, du « 7ème sceau » de Bergman en passant par les danses macabres du Moyen Age, des tableaux de Bosch aux cimetières romantiques du 19ème siècle, de « la jeune fille et la mort » de Baldung Grien aux gisants médiévaux… La Mort fascine et effraie en même temps, c’est le fameux le couple attraction/répulsion, Eros/Thanatos, sur lequel beaucoup ont déjà écrit. Les poètes romantiques trouvaient une beauté certaine dans ces pâles visages de femmes alanguies, épuisées par le mal du siècle, la tuberculose…
Ainsi qu’on cherche à l’ignorer ou qu’on la regarde en face, qu’on la pare de beaux atours ou qu’on l’habille de noirs oripeaux, nous avons toujours cherché à représenter ce que nous ne pouvons pas, par expérience, représenter car, comme tout être vivant, nous ignorons ce qu’est la mort… Nous connaissons le résultat opéré par la Mort sur le corps humain, un phénomène d’entropie, de désorganisation qui conduit à ce que nous avons bien du mal à considérer, c’est-à-dire, le cadavre, le corps mort, celui d’autrui… Mais la Mort elle-même ? …
Mais il faut bien avouer que tout cela nous semble bien vain lorsque la réalité nous place subitement en face de la Mort, la vraie, et que celle-ci semble prête à s’emparer d’un être proche… Le temps dispensé à penser, imaginer la représentation de la Mort n’est plus, semble bien vain… La Mort est là maintenant, présente et invisible, si proche et si insaisissable. Elle n’est pas représentable sous une forme plus ou moins artistique. Elle n’est pas personnifiable. Elle n’est pas métaphorique.
Elle n’est plus soudainement que pulsations, diagrammes, transfusions, perfusions, tension artérielle, oxygénation, irrigation… Elle est lumière froide, gestes précis, phrases courtes, essentielles, sans concession, amas de tuyauteries, de fils, de bips bips répétitifs. Elle est l’implacable immobilité du corps rythmée par le soulèvement régulier d’une poitrine, seule trace de vie donc d’espoir…
Comme dans le « 7ème sceau », une partie d’échec se joue entre le mortel et la Mort. Aujourd’hui, l’on pense que la mort est, non pas exactement la cessation de la vie biologique, mais la fin de la conscience. Déjà Socrate apparentait la mort à un sommeil sans rêve. D’un point de vue phénoménologique, dans le sommeil profond, je suis « mort », car je ne suis plus conscient de rien. La mort de la conscience serait semblable à un sommeil sans rêve, éternel. Ainsi, il n’y aura échec et mat que si la conscience s’éteint définitivement même si la vie biologique perdure… La mort cérébrale…
L’on sait maintenant que quelques minutes d’une mauvaise irrigation et oxygénation du cerveau peut entraîner la mort cérébrale. Ainsi, plus de doute sur le fameux « Je pense donc je suis ». L’absence de pensée, de conscience, conduit le chirurgien à prononcer un verdict sans appel: inutile d’opérer… Faute de pouvoir penser, je cesse d’être, même si toutes mes fonctions vitales fonctionnent. Ainsi il suffit à la Mort de ravir la conscience, inutile de tout emporter… Et l’ultime raffinement est de nous faire croire, jusqu’au dernier moment, que tout peut être perdu définitivement ou que tout est encore possible… Il suffit alors qu’un membre tressaille à l’appel d’un nom pour que la partie puisse se poursuivre... On peut opérer, pendant 8 heures… Mais rien n’est encore joué. Il faut encore 7 longs jours d’attente pour sentir, avec certitude, que la Mort s’en est enfin allée, amère et penaude… pour cette fois.
Ainsi par essence même, nous sommes incapables de vivre la mort, d’en faire l’expérience. C’est antithétique. On ne peut que la constater chez autrui. Elle ne peut donc être pour nous qu’une figure fantasmée. Mais s’il survient qu’on la croise malencontreusement au détour d’un mauvais chemin, elle est tout sauf belle ou fascinante, simplement parée de la froide réalité de l’instant, chair blessée, os brisés, sang versé, souffrance, angoisse, course contre la montre…
C’est peut-être cela la Mort, le Temps allié au Désordre… Et il est tout aussi extraordinaire d’assister au combat des forces vives, à l’élan vital qui résiste par une volonté forcenée de ne pas céder, c’est-à-dire d’utiliser la moindre parcelle de Temps pour Réorganiser le Désordre…
Une expérience extrême d’où l’on ressort différent(e), je suppose. Il ne peut en être autrement..

dimanche 17 juillet 2011

Le sens de la vie.



Nous cherchons tous à trouver un passage vers une explication rassurante à notre existence en nous posant la question du sens de la vie. Et nous ne trouvons inévitablement que le vide ou un infini de réponses que nous nous inventons. Etres de raison, il nous est difficile de vivre sans un Sens à donner à ce qui n'est que Chaos.
Si la race humaine n'existait pas, le monde continuerait son petit bonhomme de chemin mais sans conscience, sans être perçu par quiconque. Nous sommes sa conscience parce que nous le percevons. Ce qui nous différencie essentiellement de l'animal qui mange, dort, perpétue la race, éprouve du plaisir et de la souffrance sans se poser la question du Sens, c'est notre fonction imaginative.
C'est elle qui nous fait nous poser la question du Sens, dès les premières peintures rupestres... Mais il s'agissait déjà plus de tentatives d'explication du monde que de volonté de donner du Sens à la vie. L'un ne va pas sans doute sans l'autre mais l'explication du monde n'a jamais donné du Sens. Ce n'est pas parce que nous comprenons maintenant les phénomènes électriques, la circulation sanguine, que nous remontons de plus en plus loin à l'origine du monde grâce à la science, que la vie prend plus de sens. Au contraire, le mystère s'épaissit... Au service de quoi une telle complexité ? Et si la vie n'avait évolué que par le réajustement permanent du désordre, sans but précis ?
En fonction donc de notre Imaginaire, de notre culture (la vie n'a pas le même sens pour un Parisien et un Esquimo, plus pour longtemps malheureusement...), la Vie n'a le Sens que nous lui donnons.
 Certains y décèlent un plan, un plan divin. Cependant, malgré les efforts du Christianisme pour nous faire croire à un monde linéaire qui a un but, la résurrection finale ou malgré la foi dans la marche triomphale du sacro-saint progrès de nos économistes, en soi, elle n'a pas de sens.
Mais n'ayez crainte, un jour la vie aura un sens, le même sens pour tous les habitants d'une planète mondialisée, uniformisée, ce sera le sens de la réussite (voir la Chine), l'adoration du Veau d'or, du capital omniprésent et déifié, devenu modèle unique. Il y a des résistances, les altermondialistes, l'Art, la sauvegarde de la planète, mais aussi des dérives, les sectes, les refuges dans des mondes merveilleux ou des paradis artificiels... Mais cela donne-t-il un Sens en soi à la Vie ? L'art de vivre ne serait-il pas de réussir à donner un sens à une vie tout en sachant qu'elle n'en a pas ?
 C'est peut-être aussi la mort qui, d'une certaine façon,  donne un Sens à la Vie. C'est parce qu'on sait qu'on va mourir que la Vie a un prix et si la Mort ne donne pas vraiment un sens à la vie , c'est elle qui nous force à nous poser cette question du Sens. . Pour les Dieux éternels,  la question du sens de la vie n'avait certainement... aucun sens !... Mais on peut aussi se dire que, puisque l'on va mourir, tout ce qu'on fait n'a pas de sens ! On tourne en rond, c'est peut-être cela le sens de la vie: partir d'un point (le ventre maternel) et revenir au même point (le ventre terrestre). Pas gai tout ça. Alors, "CARPE DIEM" ! 

mardi 12 juillet 2011

Il était une fois ... la mort.







Allez ! Pour inaugurer le début des vacances scolaires certainement chaudes et ensoleillées, voici quelque chose de gai ...
Laissons notre imaginaire errer, vers l'inconcevable comme une invite, ne serait-ce qu'un instant, à une rêverie sur notre propre mort d'Occidental de ce début du 3 ème millénaire ... Portons notre regard vers l'avenir inéluctable, vers la fin obligée. Telles des ombres, tenons nous sur les rives souterraines du Styx, le sombre fleuve des Enfers...Tournés vers l'autre rive, qu'apercevons- nous ?...Le vide, le néant, le trou obscur du placard de nos peurs enfantines: on ouvre la porte vers l'espace tant redouté et,...il n'y a rien ! Nous restons seuls devant l'insondable. Les molécules du corps physique continuent leur lente dissolution. Avons nous pour autant senti un souffle se disjoindre, une âme comme on dit, s'échapper, un petit quelque chose qui subsiste de nous...Nous le souhaitons alors, nous l'espérons de toute notre âme, si l'on peut dire, alors que tel n'était pas toujours notre souci de notre vivant.
Soudain l'eau noire tressaute. N'était-ce que le vent ? Ou peut-être un souffle divin ? Une émanation de notre être ? Enfin !... Mais nous disparaissons peu à peu et notre esprit rationnel perd pied. L'esprit... Un grain de sel dans le grand océan, comme dit Maeterlinck, qui se dissout. Peut-être rien de plus...
Que ne sommes-nous, hélas !, un Mozart dont la musique transcendait la mort et parait la belle et noire inconnue de la magie de ses notes ou un Jérome Bosch qui exorcisait ses peurs dans les mises en scène horrifiques de son art, ou simplement, celui qui fait certainement, en cet instant et pour l'éternité, du pédalo sur la vague, en rêvant...
Stimulés alors par ces évocations prestigieuses, nous reprenons courage. Comme Hadrien, l'empereur stoïcien de Marguerite Yourcenar, nous tentons d'entrer dans la mort, les yeux ouverts, mais, nous ne faisons que marcher à tâtons, aveugles, lourds du poids de notre propre responsabilité, coupables de ne pas pouvoir nous retourner et contempler notre vie, sereins comme un Ancien, et pouvoir nous dire: j'ai vécu, j'ai accompli ce que j'étais en mesure d'accomplir, je peux mourir en paix...Or, tout semble vain, absurde, factice puisque tout prend fin ! Penchés vers l'eau noire tel un miroir profond, nous percevons notre image fugace, les instants fugitifs d'une vie qui se brouille comme l'eau frissonnante de la surface. Nous sommes démunis, désarmés plus que ne l'a jamais été aucun mortel des siècles passés... L'eau clapote alors à nouveau... Clapotis obsessionnel...goutte à goutte, perfusion d'outre-tombe...Sommes-nous passés sur l'autre rive ? En effet, peu à peu, la métamorphose opère. Une âme toute neuve, ou quelque chose, semble naître, faite à la fois de l'ancienne et pourtant solidaire d'autre chose, comme consubstantielle à tout ce qui fut et sera... La partie et le tout confondus !.. La grande sève de la vie parcourant le champ des morts monte en nous. Laissons nous alors porter et embrassons les siècles en une fraction de seconde, telle une éternité... "Rien ne se perd, tout est vivant". "Rien ne se perd, tout se transforme". L'humanité subsiste dans ce qu'elle fut, est et sera, et l'oeuvre, à laquelle nous avons participé tant soit peu, se poursuit, sans nous mais aussi un peu par nous. Nous disparaissons dans l'unité fondamentale des êtres et des choses, vers ceux qui nous ont déjà précédés, sans occulter la peur, mais apaisés, assurés de survivre dans le souvenir des vivants, Enfin dépouillés du vieil homme, si notre passage sur terre laisse une trace quelque peu utile et féconde, nous pouvons alors abandonner, sereinement, un corps qui n'en fut que l'instrument.
Jankélévitch disait: "Il n'est pas certain que l'homme soit immortel, mais il n'est pas certain non plus qu'il soit mortel. La mort et l'immortalité sont aussi incompréhensibles l'une que l'autre". Sans affirmer ou nier ce que nous sommes, dans l'impossibilité de constater, comme Hadrien, nous pouvons alors peut-être entrer dans la mort, les yeux ouverts, nous retourner et contempler notre vie, sereins comme un Ancien. Tel le chevalier de Dürer, ignorant du diable tentateur qui chevauche à ses côtés, nous pouvons triompher de notre propre mort, sûr d'une éternité qui subsiste dans le présent délaissé... Comme dans "Le 7 ème sceau", ce film envoûtant de Bergman, où la mort joue aux échecs, rappelons nous que, s'il y a fatalement échec et mat, c'est parce que la partie a pu se jouer. On meurt, infime césure dans l'ordre naturel des choses, parce qu'on a vécu.
Soyons donc reconnaissants, à la vie !...