... et aussi le simple plaisir d'écrire.

Qui êtes-vous ?

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Un peintre qui crée essentiellement une peinture figurative qu'on peut appeler fantastique, onirique, surréaliste,... Comme on veut... Bien que je ne sois pas insensible à toute forme d'art pourvu qu'elle me paraisse sincère et qu'elle provoque quelque chose en moi... Depuis toujours, je tente de peindre l'individu et la multitude, la matière brute et la lumière intérieure, l'arbre de vie, la femme et les racines, l'enfant et le devenir, la foule errante en quête de valeurs à retrouver, les voies parallèles, les mystères des origines et de la fin dernière... Les “SEUILS”, les félures, les passages qui font de nous d’ éternels errants insatisfaits entre mondes réels et rêvés , entre soi et autrui, entre Vie et Mort, entre bonheur et malheur... Un acte de peindre, nécessaire, à l'origine de rencontres furtives mais intenses, et qui fait naître, quelquefois, au bout d'un pinceau fragile, une parcelle de soi... ...ou tout simplement le plaisir et la douleur de créer...

samedi 30 juillet 2011

L'errance de la toile blanche.





L’errance de la toile blanche.......
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Combien de fois suis-je tombé, devant la toile blanche, dans un état de profonde stupeur proche de la paralysie hypnotique ? Je ne saurais le dire…....
Un état très particulier que connaissent tous les créateurs et qui voit alterner des moments d’agitation exaltée proches de la confusion mentale, exaltation servie par le pressentiment de voir enfin de l’Informe naître la Forme tant espérée  qui voit alterner aussi ces instants étirés dans le temps, emplis d’abattement, de torpeur, de vide stérile et désespérant…....
Il s’agit bien d’engendrer à partir des méandres de l’Imaginaire et d’accoucher  d’un être tout aussi imaginaire, l’œuvre d’art… qui devient objet bien réel et pourtant bâti sur une pure idéalisation du monde…....
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Un paradoxe… ....
Pour supporter un monde construit en partie sur l’Illusion, que ce soit en le fuyant ou en l’affrontant, il nous faut créer de l’Illusion donnée elle aussi pour réelle…....
Une béquille parmi d’autres mais qui se fonde, elle en particulier, sur l’Illusion la plus manifeste, celle proposée par l’œuvre d’art, qu’elle soit peinte, écrite, filmée, numérisée, théâtralisée… ....
Une illusion que tout le monde feint d’appréhender pour réalité tout en sachant pertinemment qu’elle n’est qu’illusion pure. L’œuvre d’art est comme cet équilibriste qui marche à petits pas sur la corde reliant le réel et l’imaginaire. Elle participe des deux et se revendique comme telle. Un jeu entre  2 extrêmes particulièrement frappant au Théâtre qui exige que le spectateur joue le jeu dans l’instant où il se pose comme tel: un jeu de dupes intégrant immédiatement l’illusion pour le transmuter en faux réel…....
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Pourquoi donc, dans un monde où l’Illusion règne déjà suffisamment, ajouter encore d’autres formes illusoires qui, apparemment, n’ont aucune nécessité primordiale ?

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On pourrait pourtant en rester là et inventer, créer sans se poser de questions. Mais ainsi sommes-nous faits, des éternels demandeurs, des pinailleurs, des coupeurs de cheveux en quatre…. ....

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Combien de fois me suis-je posé cette question de la nécessité de créer ? Nécessité pour soi-même, nécessité pour les autres… Cela me laisse perplexe et, c’est avec le temps, que cette question s’est imposée de plus en plus… La jeunesse a quelquefois le privilège de l’enthousiasme et je peignais alors sans trop me poser de questions. L’envie, le désir l’emportait sur toute interrogation. Un désir qui met en branle une énergie à tout épreuve, un désir qui prend racine dans l’Illusion justement, la croyance… L’illusion que tout est possible… Jeu du désir et de la foi (en soi), jeu du désir et de la motivation… Fondamental.....
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Mais aujourd’hui, peste soit le nombre des années,  il m’arrive souvent de tourner autour de la toile immaculée à la virginité agaçante. « N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ? » dirait l’autre.......
On se penche dessus, on s’assoit, on prend du recul, on va boire un café, on se rassoit, on reprend un croquis, on pose la toile verticalement puis horizontalement, on boit un autre café…. Tout plutôt que  faire le premier geste… Rien que du banal, l’angoisse de la page blanche, diriez-vous ? ....
Mais cela va plus loin ou plutôt cela va plus profond…

La question proche du lieu commun: pourquoi créer ? se double en fait de LA question existentielle: pourquoi vivre et comment vivre ? ....
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Si donner un SENS à ce monde relève de l’utopie, de l’INSENSE, il faut bien donner un sens , un petit sens, un sens des plus modestes à chacun de nos actes inscrits dans la banalité des jours… ....
Ma fille m’a dit: ‘Tu ressasses « . Soit. J’en prends acte, un acte de foi puisqu’il s’agit du jugement d’une personne essentielle. Alors laissons tomber quelquefois la quête du SENS ultime pour donner des petits bouts de Sens à l’Instant, même si la somme de ces parties ne nous renseigne en rien sur le SENS global du Tout…....
Damned ! J’ai progressé… Etre lucide sur ce qu’est notre monde tout en admettant notre défaite essentielle devant la force de l’Illusion. Elle nous est consubstantielle, qui pouvons-nous ?, elle fait corps avec la conscience. ....
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Jouer ainsi le jeu de l’Illusion tout en s’efforçant de ne pas y succomber corps et âme: projeter, anticiper, élaborer, planifier, créer au sens large… Et aussi ressentir, aimer, rêver, fantasmer, idéaliser, sublimer... ....
Qu’il est quand même doux de s’illusionner tout en gardant les pieds sur terre. La quadrature du cercle: les pieds dans la gadoue et la tête dans les étoiles.......
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Qu’il est finalement nécessaire de sublimer !...  Nous sommes dotés de cette conscience qui fait tant de mal quelquefois et nous avons ,à portée d’âme, l’antidote, la sublimation, cette fonction miraculeuse de la psyché, qui transmute le plomb en or. Le contre-poison qui fait que l'homme n'a de cesse de construire, imaginer, restituer, sous mille aspects, ce sentiment indicible de vacuité pour mieux l’annihiler avec cet outil unique dont il dispose, l'imaginaire symbolique. ....
Sinon pourquoi accorder tant d’importance à ces traces de matière jetés sur une triviale toile de lin ?
C'est peut-être cela que nous ressentons confusément dans notre relation à l’œuvre. Elle parle de l'artiste, de celui qui la regarde ou l'écoute, et d'un « plus » indéfinissable qui établit la relation entre les deux et la relation à un Indicible, ce qu’on pourrait appeler le « Mystère » faute de mieux…D'où le choc esthétique que l'on peut ressentir devant certaines œuvres, inexplicable mais palpable, choc qui semble la manifestation de ce point de rencontre si rare entre le créateur, l’observateur et un questionnement universel…....
J’ai donc décidé de ne plus ressasser… de désasser, si l'on peut dire. Le ressassement, pire le ressentiment, semble le premier pas vers le précipice Une seule arme contre lui: l’action. Même avec un zest de compromission vis-à-vis de l’Illusion… C’est le prix à payer pour éviter la chute dans la paralysie mélancolique de l’auto-analyse perpétuelle… Le tout agrémenté d’une bonne dose d’auto-dérision… et de Ricoré. Un fragile équilibre: il faut y croire sans vraiment y croire. Diable !, dirait Faust, avec raison… L’Illusion est bien une diablesse avec laquelle il nous faut pactiser sous peine de de mourir d’inertie.....
Alors, tout en restant vigilants, laissons encore quelques alouettes aux miroirs, peuplons le monde de moulins à vents, préservons nos châteaux en Espagne… Tel Sisyphe, grimpons et regrimpons sans fin…....
Il semblerait que ce soit notre punition et notre salut….

Gorgone.




Je m’étais absenté quelque temps: problèmes de santé et de motivation… Mais comme j’ai retrouvé la forme, voici un petit texte revigorant et particulièrement chargé de peps comme au bon vieux temps… Il faut que je vous signale aussi qu’il m’a été inspiré par certains articles du blog de John Stalker III. sur Myspace....
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Quand on arrive à un âge certain (l’adjectif est passé derrière le nom depuis peu…) et qu’on a terminé sa vie de labeur d’honnête travailleur, on se retrouve soudainement comme au bord d’un précipice. Je parle du travail « officiel », mon travail de peintre se poursuit ou plutôt va se poursuivre. Il est aujourd’hui au point mort (excusez-moi pour la tonalité négative du mot mort, rien n’y fait, ça vient et revient toujours sous la plume/clavier… Pourtant, j’ai la forme, sacrebleu !...).....
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Un précipice donc… Oups ! Certains vont grommeler « Voilà qu’il refait dans le négatif... » Mais dans tout négatif, n’y-t-il pas de l’argentique  (un peu facile mais je n’ai pas pu résister) ? Il suffit d’aller le chercher… Oui et non donc…....
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Non parce qu’un précipice n’est pas le « bout du monde ». D’un précipice, on peut s’écarter, lever les yeux au Ciel pour appeler à l’aide (même si Dieu n’y est pas) ou tout simplement se les bander et camper en son rebord en toute tranquillité. Ce qui ne se voit pas n’existe pas , non ?.......
Il suffit alors de faire comme si tout danger était écarté et s’occuper... Le mot est lâché: s’occuper. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, trouver d’autres formules pour brûler la vie, ce qu’il en reste… L’édifice bancal que nous avons construit dès l’enfance vient de s’écrouler. Tous nos petits artifices, toutes nos motivations plus ou moins sincères qui faisaient que la vie, bon an mal an, vaille que vaille, déroulait sa pelote, ont volé en éclats… Il reste un peu de fil mais comment, au fil de cette vie qui s’annonce encore, trouver un sens ? .......
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Un sens ! Je n’aurais pas dû employer un « gros mot »… Soyons plus modeste, trouver une raison d’être personnelle, une raison à ce qu’on fait, ce n’est déjà pas si mal. A défaut de trouver Le Sens de la Vie. Ou tout simplement vivre pour le simple plaisir de vivre… Le rêve impossible, pour moi en tous cas !... ....
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Certains y parviennent… Comme je les envie ! Savourer les plaisirs de l’instant, voir dans le Ricoré du matin « tous les matins du monde », s’enivrer à l’avance d’une revigorante promenade sous la pluie battante, lire avec délectation la rubrique nécrologique du journal tant attendu, s’escrimer sur une grille où l’on croise les mots à l’infini, s’endormir serein devant un écran de télévision, témoin constant de la mort programmée du monde, s’émoustiller à la pensée du lendemain qui va forcément chanter… Précipice ou pas, beaucoup l’ignorent, armés des petites recettes de la vie. On le voit sans le voir, absents de tout vertige. Vertige inconnu de certains, vertige de la vie, vertige existentiel… Les Bienheureux… Il y a aussi les vertiges de l’amour mais c'est un peu éculé.....
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Cependant, pour d’autres, la ligne de faille est assidûment présente, béante… Avec aucune recette coutumière pour la combler. On sent confusément que la Vie devrait être autre chose, qu’on évolue sur la superficialité d’un monde dont le spectacle nous déçoit, qu’on s’est fourvoyé, qu’on a perdu l’essentiel. Bref, qu’il y a un malaise… Armés de la conscience, nous avons projeté et mis en place un monde qui nous étouffe. Il ne nous reste pour l’affronter que l’arme suprême qui nous fait tout endurer, l’Illusion…....
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La valise de secours, la trousse de survie, l’Illusion sans laquelle l’enfer serait ici-bas…Mais nous ne sommes pas des Dante en puissance, capable d’une divine comédie ici et maintenant. Lorsque Persée affronte la Gorgone, il lui renvoie son propre reflet, l’obligeant ainsi à se voir nue, à contempler sa propre conscience, sans illusion… Dépossédée du voile de l’Illusion, elle ne peut supporter sa propre image et meurt… Sommes-nous tous des Gorgones, médusés par notre propre apparence au point de ne pas oser soulever le voile et considérer le réel pour ce qu’il est ?.......
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Pas tous…. Certains, malheureusement,  sont dépossédés de toute faculté à s’illusionner… L’arme de l’Illusion leur fait défaut, ils se voient et  voient le monde sans fioritures.
Arme à double tranchant, périlleuse, difficile à manier et qui peut faire autant de tort à celui ou celle qui la possède.
Elle nous cache la vanité du monde et nous permet, d’une certaine façon, d’y survivre (sans Illusion, pas de projet, pas d’anticipation,  pas de réalisation) tout en nous donnant les capacités de s’y noyer. Avec  l’Illusion surviennent les divagations (et pas seulement celle de trouver bon le Ricoré), les errements idéologiques, les tromperies sur soi-même, les projets les plus fous. Avec aux deux extrêmes de la chaîne, la même exaltation imaginative, imagination pervertie, qu’elle soit idéaliste ou matérialiste (le 20ème siècle en fut friand)…. Et la capacité de vivre en toute bonne conscience, une conscience rêveuse, endormie… Le sommeil de la conscience, celle du « juste ».... Et le nec plus ultra: l’illusion de croire en l’Illusion… Jeu de miroirs, jeu de dupes, puisque illusion vient du latin illudere signifiant jeu, jeu des apparences trompeuses, des faux semblants… pris pour argent comptant.....
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Au bout du compte, deux façons extrêmes de faire avec le monde. Le rêver, en toute bonne conscience, forts de nos certitudes ou s’en détacher, s’en abstraire, en écartant le désir sur lequel se fonde toute Illusion. Se tromper ou se mutiler… Entre, les deux l’effarement et la chute. ....
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Pas forcément. ....
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Entre les deux, toute la palette des formes de résistances. Composer avec sans se compromettre… Affirmer une lucidité rude mais tranquille face au miroir aux alouettes. Auto-dérision contre auto-illusion. Recherche de soi, en soi, afin de faire corps avec les fondements naturels à retrouver… Avec des outils .......
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Mais je vais vous quitter pour ma promenade quotidienne (c’est pas vrai !...) et reviendrai plus tard pour me donner l’Illusion de dire des choses intéressantes sur  l’Illusion et les béquilles de la Vie, l’Art en particulier, la plus sublime...

L'Imaginaire.






Je vais revenir sur une question qui est un peu mon dada ou mon cheval de Troie, tout dépend du point de vue...

L'imaginaire est une composante essentielle de l'esprit humain. Je n'en ai jamais douté. Et je serais bien mal placé pour en douter. Sans Imaginaire, pas de projection, d'anticipation, d'élaborations planifiées, pas de créations artistiques, artisanales ou technologiques, de sentiment esthétique, pas de pensée scientifique qui s'appuie dans ses prémices sur l'imagination, pas de système de compensation, de sublimation, pas de rêves (au sens propre comme au sens figuré), pas de fantasmes, pas d'idéalisation... Et pas de publicité ! qui s'appuie sur le désir. Dès les peintures rupestres, l'homme a imaginé et quand on fouille un peu le bestiaire mythologique ou médiéval, nous sommes pris de vertige !…
L'enfant que j'étais, les enfants que nous fûmes tous évoluaient au centre d'un monde magique, celui du jeu quasi permanent, de la mise en scène, un monde d'identification aux héros, aux modèles que seul l'Imaginaire pouvait installer…

Privez l'homme d'Imaginaire, il n'en restera pas moins un « roseau pensant » mais un peu sec et cassant, infirme, handicapé d'une part de lui-même… La sensibilité, l'émotion, les sentiments, l'amour, se nourrissent d'un Imaginaire qui puisent ses racines dans le vécu, se formalisent dans l'instant présent pour se perdre dans les rêves à venir… Privez le d'Imaginaire et le monde merveilleux des constellations n'est plus qu'amas d'étoiles, la Chaussée des Géants amoncellement de roches, Brocéliande une forêt parmi tant d'autres, une symphonie colorée de Kandinsky un gribouillage de formes et de couleurs. Le monde perdrait une part essentielle de son Mystère ou plutôt nous ne pourrions plus faire face à ce Mystère au moyen des mille et mille trouvailles que notre Imaginaire nous proposait….
Quant à l'homme antique, il s'est créé des dieux mais aussi des mythes et je crois que l'intellectuel grec, très tôt, ne croyaient plus aux Dieux mais se servaient des mythes pour interpréter le monde et mettre en scène la condition humaine. La littérature, le cinéma, etc... nous ouvrent le monde de la FICTION (où les héros pullulent) et dont nous avons besoin (défoulement, distraction, compensation, identification, etc...). Tant que nous gardons nos distances et que nous apprécions ces créations pour ce qu'elles sont, c'est-à-dire de la fiction, un monde parallèle inventé par l'homme mais purement virtuel, tout va bien...

Le problème ne semble émerger que lorsqu'on développe une telle charge émotionnelle et affective vis à vis de l'objet créé que celui-ci en devient réel à nos yeux, transfert émotionnel qui est à la source des religions et malheureusement exploité par le système des sectes. Il apparaît essentiel de rester toujours à l'abri de la chute dans
un virtuel pris pour le réel (voir les polémiques sur le rôle de la TV ou des jeux vidéo sur les plus jeunes) ou de garder un recul raisonnable. Sinon le point de non retour est atteint: l'Imaginaire s'est fait croyance, foi inébranlable, dogme. La rêverie erratique s'est figée dans un réel sublimé...
Il advient cependant que des scientifiques, des médecins, des savants soient croyants, croyants en une force créatrice et organisatrice (ils se rapprochent du déisme) mais sans adhérer forcément à une religion et sans croire à une entité qui serait sensée être tout amour pour sa création (on se demande bien pourquoi ?) et à qui en retour nous devrions aussi de l'amour, voire une abnégation sans faille…
L'Imaginaire n'est qu'une fonction propre à l'homme qui n'est pas séparable de la raison, de la conscience, de la morale, de la mémoire, de la perception, etc.... Notre personnalité est n'est qu'un enchevêtrement complexe. Si notre Imaginaire a pu produire des œuvres prodigieuses, nous emmener au-delà des étoiles dans le SF, dans des mondes fantastiques ou merveilleux...ou simplement nous faire trouver une nouvelle façon d'accommoder le plat du jour, il peut aussi se mettre au service de consciences perverties et servir les pires atrocités.
Force créatrice mais aussi destructrice. L'homme est bien la seule espèce a avoir su reculer sans cesse les limites du mal, de l'atroce, de l'In-imaginable… Le nazisme par exemple a su penser l'inimaginable puis le rationnaliser: alliance incongrue d'un Imaginaire exalté dont les racines sont profondes et d'une raison froide...
L'imaginaire semble aussi être un pont, un médiateur possible entre notre passé et notre avenir, entre les graines enfouies profondément en nous et desquelles germeront les projets futurs … ou les blocages présents ou à venir. D'ailleurs, l'Art, le véhicule par excellence de l'Imaginaire, nous ouvre bien souvent une porte vers un ailleurs, un au-delà de nous-mêmes ou, tout au contraire, nous renvoie à ce qui est de plus intime, de plus profond en nous, les racines du passé. Aussi bien pour le créateur que pour l'observateur. D'où le choc esthétique que l'on peut ressentir devant certaines œuvres, inexplicable mais palpable...
Cependant l'analyse, la compréhension du phénomène est ardue. Que savons-nous de la part de reconstruction plus ou moins consciente de notre passé ? Les souvenirs s'effilochent, se dispersent au fil des années, les strates de la mémoires se superposent, l'imaginaire comblent les trous, recomposent , restructurent selon la façon qui nous arrange...
Parce que nous sommes objet et sujet en même temps, tous les efforts que l'on essaiera de déployer pour prendre de la distance, du recul par rapport au passé et aux symptômes présents seront toujours un peu vains. Puisque cette perception de nous-mêmes, si lucide soit-elle, est empreinte inconsciemment de tout ce qui pose problème justement. Les ruses de l'inconscient, comme le disait Papa Freud, sont multiples et même notre auto-analyse et notre auto-acceptation de soi est inévitablement gauchie par ce que nous sommes en profondeur. Et par l'image (imaginaire) de soi qu'on s'est forgée au fil du temps...

Le passé est inhérent à la personne, nous sommes du passé en marche et l'on ne peut déposer le baluchon qui devient pesant au bord de la route. A nous de le transcender par le biais de notre capacité à imaginer et à rêver… Capacité qui peut être libératrice/compensatoire ou aliénante/obsessionnelle.

Il faut bien composer avec. Les voies diffèrent selon les personnes (auto-analyse lucide, psychanalyse, médicaments, occultation, résignation, etc...). Nous n'avons pas tous le même passé évidemment mais le poids de ce passé peut sembler plus lourd à certains qu'à d'autres et notre personnalité nous dirigent vers telles ou telles "solutions". Il semble aussi que nous ne soyons pas tous armés de la même façon pour y faire face. Pourquoi certains parviennent à faire avec et d'autres non ?
Car il me semble qu' un lourd passé négatif ne fait pas tout, on s'est tous construit à partir d'expériences heureuses et malheureuses et ces expériences ont forgé en nous des comportements, ont bâti des schémas mentaux qui permettent de faire plus ou moins bien face aux situations présentes... Mais nous avons eu chacun nos stratégies propres pour affronter ce passé et chaque psyché humaine est la résultante de ces conflits internes qui la structurent. Nous nous construisons sans cesse à partir de ces confrontations et la construction éternellement provisoire de notre personnalité continue à gérer et intégrer plus ou moins bien ces conflits... Un cercle vicieux, le serpent qui se mord la queue...

L'expérience aidant (le vieillissement sert au moins à ça !), j'aurais tendance à me laisser aller à penser qu'il faut du temps, de la patience... Il faut aussi se dire que, d'une certaine façon, ce passé, par définition, EST PASSE, que l'on ne peut plus rien y faire. Le fouiller certes, tenter de le comprendre puis l'accepter doucement comme une évidence, sous un nouvel éclairage, celui de l'expérience des années accumulées, selon un point de vue qui a évolué... La mélancolie, la tristesse, les regrets font partie de notre lot à tous. On peut lutter rageusement contre mais au risque de faire une fixation névrotique sur l'objet de notre ressentiment. On peut compenser par une projection surestimée de soi (voir article précédent) mais ce n'est pas sans risque...

On peut aussi, grâce à cette fonction miraculeuse de la psyché, la
sublimation, s'appuyer sur ce qui fait mal pour transmuter le plomb en or. La sublimation, dirigée souvent vers l'Art, peut aussi s'orienter vers une cause, une passion, etc... selon les personnalités. Elle fait naître la motivation, le moteur de tout acte créatif...

Fondée sur l'Imaginaire, je ne séparerais pas abruptement toute
création exercée dans la joie de celle enfantée dans la douleur. Tout semble mêlé, imbriqué. Pour ma part, si cela peut aider un peu, j'ai connu des phases frénétiques de créativité qui manifestement puisaient leur force dans les problèmes du passé et corollairement du présent, mais apportaient du coup une joie profonde, la joie de créer et d'aboutir... Du limon boueux mais riche en profondeur pouvait naître le blé doré au soleil de l'Imaginaire… En effet, certains artistes ont besoin de créer dans l'urgence, dans une certaine agitation de l'esprit, de puiser dans un passé complexe, d'autres ont besoin de calme et de sérénité. Magritte par exemple avait la vie réglée d'un bureaucrate mais que sait-on des racines profondes de son art, de ce qui le poussait à agir ?...
Quelles que soient les causes, les moyens, tant que l'envie, le désir subsistent, rien n'est perdu. Créer n'est pas la voie la plus facile qu'on puisse se donner, c'est aussi le doute, la désillusion, les efforts constants physiques et psychologiques. Mais c'est bien quand le désir disparaît (c'est d'ailleurs vrai pour la vie en général) que l'on se retrouve véritablement face au vide. Tant qu'on se bat, dans la joie ou dans la douleur, avec ou sans ses démons personnels, on vit !… Tant qu'on se bat avec des défis à notre mesure… La Démesure, tant redoutée par les Grecs, a toujours un prix à payer dès que nous ne sommes pas à sa hauteur, ce qui par définition est impossible sinon il faudrait ne plus la nommer Démesure… :)


La mort du Sacré ?



Pour plus de facilité, mettons de côté le sacré au sens de  vital, important ... Il est évident qu'au plan individuel comme au plan collectif, tout ce qui m'est cher (un être, un objet, un lieu attaché à un souvenir) est dit « sacré »…
Jetons plutôt un coup d'oeil sur la notion de « Sacré » en tant que relation à ce qui nous dépasse et qui nous parle autrement, sur la plan symbolique, faute de pouvoir nous parler d'une manière effective. Le sacré en tant que vecteur de l'Indicible…

Je me suis beaucoup intéressé à Mircéa Eliade en général et au livre de Roger Caillois « L'homme et la sacré » entre autres.
Mircea Eliade: « L'occidental moderne éprouve un certain malaise devant certaines formes de manifestations du sacré : il lui est difficile d'accepter que, pour certains êtres humains, le sacré puisse se manifester dans des pierres ou dans des arbres. Or, il ne s'agit pas d'une vénération de la pierre ou de l'arbre en eux-mêmes. Les arbres sacrés ne sont pas adorés en tant que tels ; ils ne le sont justement que parce qu'ils sont des hiérophanies, parce qu'ils "montrent" quelque chose qui n'est ni pierre ni arbre, mais le sacré ».
On rejoint ici toutes les préoccupations du moment sur le « désenchantement du monde ». Le monde désenchanté est peut-être un monde où cette perception du sacré a disparu, du moins dans nos sociétés occidentalisées. Ainsi certains verront dans la terre qu'ils foulent ou le ciel qui les surplombe, simplement de la terre ou un ciel ensoleillé prometteur de coups de soleil à la plage ou bien encore un assemblage de gaz variés. D'autres y verront plus que cela ou même n'y verront pas cela du tout, ils y verront autre chose... Pour être plus exact, ils y pressentiront autre chose...

« Le Monde n'est pas un Chaos mais un Cosmos. Le Ciel révèle directement, "naturellement", la distance infinie, la transcendance du dieu. La Terre, elle aussi est transparente: elle se présente comme mère et nourricière universelle. Les rythmes cosmiques manifestent l'ordre, l'harmonie, la permanence, la fécondité. Dans son ensemble, le Cosmos est à la fois un organisme réel, vivant et sacré: il découvre à la fois les modalités de l'Etre et de la sacralité. »
Ainsi, qu'on cherche à la comprendre par la science, à l'expliquer par le mythe ou une révélation, qu'on l'explore en profondeur ou dans l'espace, la Nature, par ce qu'elle est, par essence, se donne déjà à voir comme Transcendance, naturellement... Même en ce début du 21ème siècle, si nous avons presque épuisé ses ressources naturelles,  nous n'avons pas encore épuisé, loin s'en faut, sa part de mystère et d'inconnu...  Il suffit de l'observer, de s'en imprégner pour immédiatement être face au Mystère… Nous avons, en partie, perdu cette faculté et nous en souffrons. Nous cherchons à la compenser par la Raison techno-scientifique triomphante, par la Foi religieuse en des dogmes confortables, par des dérives vers la magie, l'astrologie, les drogues, la quête matérialiste, etc…
Rappelons-nous ce film savoueux  "Les Dieux sont tombés sur la tête" de Jamie Uys. Même quand un objet de consommation, la bouteille de coca,  fait irruption dans le monde enchanté des Bushmen, elle est immédiatement investie d'une aura divine. Cadeau empoisonné d'ailleurs qui sèmera la discorde... Le Sacré imprègne la pensée primitive, sert de filtre d'interprétation entre l'homme et le monde visible ou invisible... Il ne s'agit pas de revenir à cela évidemment. Mais sommes-nous si sûr de pouvoir nous en dispenser totalement ?  D'ailleurs, notre Bushmen n'était peut-être pas très loin de la vérité. Le Dieu Coca cola a-t-il pas ses adorateurs de par le monde ?.. :)

 Roger Caillois "Le sacré est ce qui donne la vie et ce qui la ravit".
Tout est là, le sacré est dans le mystère de nos origines, nos doutes sur nos fins dernières, la présence du vivant et de la mort, du tréfonds de nos cellules aux confins de l'univers, et le Mystère du Pourquoi et du Comment ... Cette sensation d'un Absolu qui nous dépasse certainement, nous pouvons en faire l' expérience dans notre vie quotidienne lorsque, pendant un instant, on est comme abstrait de ce quotidien, le temps d'un "contact" fugitif avec le Sacré... Sensation fuyante d'un Sacré indicible et inaccessible et qui pourtant se manifeste, à travers les force naturelles, la beauté d'un paysage, l'intensité d'un évènement, la perception de quelque chose de diffus, confus…
Nous sommes à la fois emplis d'admiration et au bord d'un malaise, d'une angoisse. Il suffit de fondre son regard dans un ciel nocturne estival pour en ressentir les effets. C'est la force de notre Imaginaire, notre capacité à produire du symbole qui nous fait pressentir « autre chose » . La pensée symbolique nous est essentielle. Sans elle, pas d'art, pas de langage, pas de poésie, pas de publicité même, etc … et pas de sacralité. C'est pour cela, je crois, que le Sacré, indicible par essence, a besoin de gestes, de paroles, de chants, de symboles pour être appréhendé, capté et, en quelque sorte, piégé par les rituels qui permettent de le renouveler, de l'alimenter en permanence. De garder le contact… Rituels religieux bien sûr mais aussi rituels politiques ou sociologiques (commémorations, symbolique du drapeau, etc…)
Ce respect mêlé de peur, cette admiration qui peut confiner à l'effroi font du Sacré quelque chose de profondément ambivalent… Approcher le sacré peut se révéler bénéfique ou profondément négatif. D'où la notion de tabou associé au sacré, de transgression...et de châtiments possibles.

On peut encore parler longtemps sur le sacré. C'est un champ de réflexion d'autant plus passionnant qu'il opère en bordure de la raison et de l'imaginaire, quelque part où se situe peut-être ce qu'on appelle le spirituel... Disons que c'est une dimension de la relation au monde que nous avons cherché à occulter au nom du progrès et de la science. Comme si la pensée rationnelle ne pouvait cohabiter avec aucune autre forme de pensée. La pensée symbolique devenant le refuge des croyants, des artistes, de l'enfance ou du fantasque… Réenchanter le monde c'est peut-être essayer de retrouver ce lien et de l'adapter à notre vision contemporaine…
Chaque découverte scientifique perce le voile du Mystère pour s'ouvrir...sur le Mystère à nouveau. La quête du Spirituel ne doit pas être réservée à des spécialistes et circonscrites à des domaines précis. Elle est dans le questionnement du monde et de soi, la possibilité de l'Emerveillement encore et toujours, et particulièrement là où, dans sa Quête, le chercheur nous emmène,  au-delà des systèmes solaires ou au plus profond de nos cellules, à nos origines les plus lointaines ou vers nos rêves les plus utopiques...  Le chercheur, le scientifique d'aujourd'hui, n'est-il pas constamment sur le front de l'Inconnu, en quête de sens, en quête de vérités, en quête d'un Graal qui s'éloigne sans cesse au fur et à mesure qu'on s'en approche ?...
Je pense à Bachelard et à ses rêveries sur le feu, à celui qui sut emmener la poésie faire un bout de chemin au carrefour du matérialisme, de l'empirisme et de l'idéalisme...

L'Art et le sacré. 2ème partie.







 Suite ...
Où en étais-je donc ? … Oui, finalement, j'ai trouvé aussi bien pour 10 euros le rouleau.
Mais revenons à notre propos beaucoup plus sérieux. Je tiens d'abord à préciser que je n'affirme rien, j'émets des idées, des points de vue que je ne tiens pas forcément pour vérités acquises... Et ceci est vrai pour l'ensemble du blog.
J'en étais resté à l'idée que l'Art, quoi qu'il se passe, avait partie liée avec le Sacré… Entendons nous bien. Ce que j'appelle Sacré ici n'est pas tout ce qui nous relie à un Dieu quelconque ou à ses saints mais ce qui nous relie (il y a donc bien une notion religieuse au sens de relier/religare), d'une manière qu'on ne peut encore expliquer... à l'Indicible, le Mystère, ce qui nous dépasse en quelque sorte… Ce peut être aussi ce qui nous relie, à travers l'Art, d'une manière inexplicable, à autrui, ce lien sensible, quasi magique, fulgurant mais rare entre l'artiste et l'observateur… Quand ce lien se fait moins rare, qu'on touche presque à l'universel, on entre dans la cour des grands, le chef d'œuvre qui a su peut-être effleurer le Transcendant et le restituer pour en faire une réalité qui « parle » inconsciemment à tous…
Mais de l'universel, passons au grenier de grand-papa !
Arrivés à un certain âge, nous devons tous un jour faire le tri dans les affaires de nos chers disparus… Les vêtements défraîchis, une commode bancale, un lave-linge un peu lessivé iront tout droit à la déchetterie. Mais si nous découvrons une vieille « croûte » patinée représentant un bord de mer ou un bout de rivière sous une frondaison (eh oui, le grand-père faisait dans la peinture), nous hésiterons… Car ici, œuvre d'art ou simple divertissement d'un peintre du dimanche comme on dit, il y a plus qu'un simple objet… Il y a création, il y a une part d'âme…. Il y a ce supplément d'âme enfermé dans l'objet est qui renvoie à autre chose… On touche peut –être ici un aspect essentiel: le statut de l'œuvre d'art est de sortir de l'ordinaire. Elle n'appartient pas à l'ordre des objets techniques communs, elle est extra-ordinaire au sens strict.
Même si nous avons pu noter, qu'à notre époque, c'était de plus en plus l'objet d'art en soi qui devenait sacré, et ceci renforcé par sa mise en place dans un espace sacralisé... Grand-papa et sa modeste toile nous rappelle bien sûr qu' il y a bien plus que cela …
Notre maintenant bien aimé urinoir est beaucoup plus sacralisé par ce qu'il représente que par ce qu'il est, un urinoir. Il représente un acte fondateur et nous savons l'importance que prend tout acte fondateur dans une civilisation. Il rentre ainsi dans l'Histoire de l'Art qui consacre au sens propre du terme. Et c'est en cela qu'il a à voir avec le Sacré (même si on a ensuite tout fait pour renforcer cet aspect, les marchands du temple ne sont jamais loin...). Jésus revient ! Jésus revient !...…
Même s'il se veut anti-art au départ, il a encore à voir avec l'Art et devient les prémices d'un vaste mouvement qui ne cessera de questionner l'homme et sa place dans le monde à travers le rôle de l'objet, son icônisation (j'ai inventé le mot, pardonnez moi), son rejet, sa déstructuration, sa reconstruction, etc… Et si l'Art sert d'intermédiaire à une réflexion sur la place de l'homme et de l'objet dans le monde, à son lien avec le monde et ce qu'on pourrait appeler l'intra-monde (inconscient) et l'extra-monde (origines et fins, sens, transcendance…), il a bien à voir avec le spirituel...
C'est Marcel Gauchet, philosophe qui écrivait:  
« Le spirituel, c'est le religieux quand on n'a plus de nom pour le qualifier ! Une fois que Dieu est parti, qu'on n'est plus capable de donner un contenu déterminé à l'au-delà, au surnaturel, à l'invisible, comment l'appeler ? Beaucoup fuient en entendant le mot « spirituel », mais cela ne veut pas dire que le souci du spirituel ne les habite pas. Le refus de lui donner un contenu explicite n'empêche pas la recherche de cette dimension qui, pour nous aujourd'hui, passe par l'imaginaire. Dans le monde européen désacralisé d'aujourd'hui, il n'y a que l'art qui puisse fournir un analogue ou un équivalent du sacré.»
Jadis dieu fit sortir le monde du néant, fit jaillir la forme du chaos... mais il n'est plus... Les Dieux meurent dès qu'on cesse de croire en eux.
L'artiste poursuit cette tache, comme il le peut: donner forme au chaos ou déstructurer la forme. Il fabrique du réel à partir de concepts mais, à la différence des objets purement techniques, cette réalité est porteuse d'un idéal, d'un imaginaire unique, d'un questionnement perpétuel avec soi-même et avec tout ce qui nous interpelle… Mais la tache est rude. Notre époque consumériste tend à tout récupérer, par l'argent le plus souvent, par le vedettariat (l'artiste reconnu devient un people comme tant d'autres au risque d'y perdre son âme et sa sacralité), par le désenchantement, la désacralisation…. Même si certains résistent. Même si d'autres baissent les bras devant l'ampleur des chefs d'oeuvre écrasants du passé.
Lorsque je contemple par exemple le retable d'Issenheim de Grünewald (je l'ai vu à Colmar, on n'en ressort pas indemne), la descente de croix de Rubens, la Pietà de Bellini ou de Miche Ange, je dois bien reconnaître, qu'au-delà du religieux, certaines scènes sont comme traversées par la grâce. Cela est indépendant de la religion ou de la foi (je ne suis pas croyant) mais je suis profondément sensible à une force qui se dégage de l'oeuvre .
Devant un tableau de Bacon, je ressens la même chose… Pas de croix, d'allusions à la bible mais la même force universelle, la même déchirure des âmes et des corps... L'art porte en lui-même son caractère sacré mais toute œuvre d'art n'y parvient pas forcément… de la même façon que d'innombrables toiles peuplant nos églises n'ont rien de cette force sacrée, résultat d'un travail de commande, le sujet fut-il religieux....
On entre ici dans le domaine d'une étrange alchimie faite d'idées, de gestes, de technique, de fulgurances inconscientes, l'alchimie de la création où l'on a rendez-vous avec soi-même, l'inconnu qui nous entoure, et les autres qui viendront ensuite. Car si l'Art a plus ou moins à voir avec le Sacré selon le talent du créateur, il ne peut être que partagé, collectif… ce qui est le propre du Sacré.
C'est bien pour cela que ses rapport avec le politique furent toujours tellement chaotiques. Par essence, l'artiste est subversif. On tenta toujours de le corrompre, de le flatter ou de le censurer, de l'emprisonner… Il suffit de se rappeler les œuvres impérissables engendrées par les systèmes totalitaires. L'Art désacralisé, qui n'est plus un Art mais un Acte de propagande, n'en servit pas moins à sacraliser les idéologies d'un Führer, d'un Petit Père des Peuples ou d'un Grand Timonier... Alain dans son blog en parle très bien d'ailleurs…. S'il ne touchait pas à quelque chose de profond, d'essentiel, les pouvoirs en place en feraient-ils tellement cas ?
Pour terminer, méfions nous aussi des positions trop radicales. Le « tout est sacré », la moindre pierre, la moindre feuille… Ou le « tout est art » à partir du moment où l'on crée… Ou le « Tout art est sacré »… peut-être mais encore faut-il cerner ce qui est Art et ne l'est pas… J'en resterai là pour l'instant. Je me suis aussi limité à l'Occident et plutôt à la peinture. Il y aurait beaucoup à dire aussi sur la musique ou sur des civilisations où l'Art et le Religieux ne font encore qu'un. Mais ce sont là d'autres débats…

Retenons simplement que si l'on crée et que, ponctuellement, une rencontre, forte et profonde, se fait entre 2 individus à travers l'objet créé, si des portes ont pu s'entrouvrir pour l'un comme pour l'autre, si à travers cette rencontre, l'un comme l'autre, on a cru sentir passer comme un souffle impalpable mais tangible d'une infime part de ce Mystère après lequel nous courons tous, alors on peut être quelque peu satisfait… pour un temps. Car tout est à recommencer, toujours et toujours...

L'Art et le sacré. 1ère partie.





Le Centre Pompidou a installé une expo jusque Août 2008 qui s'intitule « Traces du Sacré ».
C'est après avoir lu un article sur cet évènement que je me suis laissé aller à penser, un peu de manière informelle, à ce qui peut bien relier l'Art à ce qu'on appelle le Sacré
Ce qui suit n'a rien de bien construit, c'est plus un jeu de correspondances qui me sont venues à l'esprit…
Correspondances? Cela me rappelle ce poème de Baudelaire justement, où les mots éclatent de vérités profondes et tellement évidentes pourtant … Allez, je ne peux résister à citer la première strophe qui nous rappellera le bon vieux temps du Lycée.
« La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers. »
Ce sentiment du Sacré, au sens non religieux du terme, de quelque chose qui nous dépasse, de quelque chose de confus mais de présent qu'on ne s'explique pas mais qu'on ressent fortement, qui n'a jamais ressenti cela au plus profond d'une forêt, devant l'immensité d'un horizon marin ou sous l'infini d'une voûte céleste ?
L'homme n'a eu de cesse de construire, imaginer, restituer, sous mille formes, ce sentiment indicible… avec cet outil unique dont il dispose, l'imaginaire symbolique. Déjà dans la grotte préhistorique des origines, le simple fait de se libérer du quotidien pour le « mettre en scène » le recréer, semble un acte fondateur d'une pensée qu'on a pu appeler magique mais en tous cas sensible à une autre approche que la simple réalité.
Ensuite, à l'image de la forêt primaire, mille piliers se sont élevés, mille temples se sont érigés de par le monde pour célébrer une divinité… L'Art, architecture, peinture, sculpture, musique, a conclu pendant des siècles, un pacte avec le Sacré dans son acception religieuse… pour le rompre brutalement dès la fin du 19ème siècle et définitivement un peu plus tard sous la forme d'un urinoir (de Duchamp) promu au rang d'une œuvre d'art !.… ou de « Demoiselles d'Avignon » de Picasso.
La rupture avec le sacré au sens religieux du terme était consommée, à moins de faire de l'urinoir un bénitier et des demoiselles de nonnes du Palais des papes… mais faudrait déstructurer le Palais, pas facile, ou le Pape, quasi impossible...
Mais l'œuvre d'art en avait-elle réellement fini avec le Sacré ? On peut en douter…
Une bizarre translation semble s'être produite dans nos pays occidentaux où le religieux expire lentement. La relation de l'Art à un Sacré en perdition semble avoir déplacé la notion de Sacré sur l'objet d'art en lui-même et les lieux où il s'expose… Les nouveaux temples sont les Musées et les galeries et les nouveaux prêtres, les intermédiaires entre la Terre et l'Indicible, les artistes...
Rappelons nous, croyants ou non, nos comportements dès l'instant où nous pénétrons dans une église, une cathédrale surtout… Les voix se font plus basses, le lieu en impose, les pas se font plus feutrés, on se risque à prendre une photo comme si l'on commettait un sacrilège, surtout avec un flash (le Fiat Lux est chasse gardée !)… Ce poids du sacré nous le ressentons aussi dans un monastère ou même au sein d'une ruine, seul, à la nuit tombée, près de quelques piliers, morts cette fois…
Déplaçons nous dans un Musée. Nous retrouvons souvent les mêmes attitudes… Certes, on ne communie pas devant l'autel et le christ en croix mais une ferveur admirative nous presse autour d'une Joconde quasi canonisée ou d'une Marylin de Warhol, véritable icône des temps modernes… les Musées contemporains, œuvres architecturales souvent audacieuses (comme le Guggenheim de Bilbao) sont les nouveaux temples d'oeuvres sacralisées où l'on vient communier par le biais d'un Tour operator…
Et si vous avez déjà poussé les portes d'une galerie de prestige, vous y avez certainement retrouvé le même cérémonial. Or quelqu'un a dit (je ne m'en souviens plus): « le sacré, c'est ce qui ne peut se donner ni se vendre »…. La définition ne semblerait pas coller avec ce qui est en jeu dans le « saint des saints » de la galerie à moins que, dans cet espace, … le sacré n'aille se nicher, non pas seulement dans l'œuvre, mais dans ce qu'elle vaut, le Dieu Dollar… d'autant plus sacré que le nombre de zéros augmente.
Ainsi le sacré semble s'être déplacé vers l'œuvre elle-même en tant qu'objet d'autant plus si elle s'inscrit dans un espace qui la sépare du monde profane. L'objet banal issu du quotidien accède à un statut supérieur et différent de par sa disposition à l'intérieur de l'espace sacré du musée.
Replaçons notre urinoir parmi ses alter ego chez Leroy Merlin par exemple, et la décadence est certaine… Le sacré en prend un sacré coup !… Il est vrai que l'estampillage Leroy Merlin est plus prosaïque que celui du Centre Beaubourg… Mais c'est moins cher. En 1999, un des urinoirs de Duchamp fut vendu aux enchères pour la bagatelle de plus d'1,5 million d'euros !… En cela le Jacob Delafon est nettement plus démocratique.
Inversement, il me semble qu'on a déjà essayé d'uriner, par provocation ou dans un grand jet purement dadaïste, dans un des urinoirs de Duchamp (aussi appelé Fountain) . On cria aussitôt au scandale, à l'iconoclasme, au sacrilège, à la profanation, et j'en passe… Un destin bien paradoxal pour une œuvre qui se voulait au départ aller à contre-courant, à l'encontre de l'art officiel, du savoir-faire, qui intronisait la pratique du ready-made, remettant ainsi en cause les fondements de l'art et sa sacralisation. Faites la même chose chez Leroy Merlin (je n'ai pas d'actions chez eux, craché, juré !), vous vous en tirerez avec une amende pour attentat…. à la pudeur. C'est Duchamp qui de son piédestal céleste doit bien rigoler, à moins que tout cela finalement n'eut rien de spontané. Un coup de bluff qui a bien fonctionné ? Aurions-nous été dupes dès le départ ?

Je vais vous quitter temporairement… Un besoin pressant m'appelle chez Leroy Merlin… pour du papier à tapisser (purement décoratif à 12 euros le rouleau).
Mais on ne peut s'arrêter là, ce serait un peu simpliste. Il est évident que derrière cette histoire pro-statique d'urinoir, on sent un bouillonnement d'idées, il y a bien plus que ce qu'il en paraît. Un 2ème épisode tentera d'explorer pourquoi, malgré la fin apparente du lien Art/Sacré, l'Art contemporain, malgré ses excès et ses dérives, n'a pas brisé le lien, loin s'en faut… Et qu'un Sacré compris dans son sens large, spirituel, débarrassé de toute connotation religieuse, est indissociable de l'Art. Il en sera toujours ainsi qu'on le veuille ou non...
C'est peut-être aussi cela que nous ressentons confusément dans notre relation à une œuvre, ce qui expliquerait nos comportements, le fait qu'elle parle de l'artiste, de celui qui la regarde ou l'écoute, et d'un « plus » indéfinissable qui établit la relation entre les deux et la relation à un Indicible, ce que Paul Diel appelait le « Mystère »…