... et aussi le simple plaisir d'écrire.

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Un peintre qui crée essentiellement une peinture figurative qu'on peut appeler fantastique, onirique, surréaliste,... Comme on veut... Bien que je ne sois pas insensible à toute forme d'art pourvu qu'elle me paraisse sincère et qu'elle provoque quelque chose en moi... Depuis toujours, je tente de peindre l'individu et la multitude, la matière brute et la lumière intérieure, l'arbre de vie, la femme et les racines, l'enfant et le devenir, la foule errante en quête de valeurs à retrouver, les voies parallèles, les mystères des origines et de la fin dernière... Les “SEUILS”, les félures, les passages qui font de nous d’ éternels errants insatisfaits entre mondes réels et rêvés , entre soi et autrui, entre Vie et Mort, entre bonheur et malheur... Un acte de peindre, nécessaire, à l'origine de rencontres furtives mais intenses, et qui fait naître, quelquefois, au bout d'un pinceau fragile, une parcelle de soi... ...ou tout simplement le plaisir et la douleur de créer...

mardi 2 août 2011

Réflexions sur un (et dans) un crâne.




Les peintres classiques aimaient bien agrémenter leurs « natures mortes » d'objets symboliques qui souvent rappelaient les 5 sens. Les Anglais les appelaient « still life », un point de vue légèrement différent...
On y trouvait aussi souvent glissé entre une pomme bien mûre et un homard  fraîchement capturé, un crâne qui était censé nous rappeler notre rude condition de mortel. On appelait aussi ces petis chefs d'oeuvre des « vanités ». Sur ce tableau du 17ème, pas de homard mais des objets, de l'argent nous rappelant notre vain attachement aux choses de ce monde...
 « Vanité des vanités, tout n'est que vanité... »  S’ouvrent alors  les orbites fixes et profonds du crâne. Notre regard s’arrête  dans cet autre regard, vide... Il fut ce que je suis et je serai ce qu’il est. Etrange tête à tête, presque complice. Etrange jeu de miroir où tout observateur peut se reconnaître, quel qu'il soit, dans cette structure identique qui protège ce que nous avons de plus secret et de plus divers pourant...
Symboles de mort, de la mort en face, ou face à face avec la mort, vacuité du monde où tout vit et meurt, l’enfant en l’adulte et chaque heure passée en chaque heure présente...
Quand on pense au temps passé pour certaines ou certains à “se ravaler la façade”, à choisir une nouvelle coiffure, une nouvelle couleur de cheveux qui ne sera jamais celle que l’on voulait vraiment ! Certains même vont jusqu’à se reblanchir les dents mais que reste-t-il de nos illusions, face au crâne, face à notre devenir à tous, irrémédiable ?...
Aussi que de souffrance endurée,  d’énergie dispensée à analyser, interpréter, gérer ce qui se passe dans notre esprit, notre crâne ! On se “prend la tête”, comme on dit, et cela me rappelle certaines expressions: mets toi bien ça dans le crâne !  - mais qu’est-ce-qu’il a dans le crâne !.
J’y vois là aussi comme un clin d’oeil de la nature. Dans l’être-matière, tout disparaît, sauf le crâne, imputrescible, qui subsiste comme un rappel, un peu éternel. Les hommes préhistoriques ou notre chère Lucy nous ont souvent légué leurs crâne.
Objet double, évoquant l’origine (quand le bébé apparaît s'il n'en fait pas qu'à sa tête !) et la fin, la matière et l’esprit, la présence et l’absence... devant lequel, et pour cela, il est si difficile de réfléchir. On reste souvent, dans la contemplation du crâne,  au niveau de la sensation, rien d’intellectualisé, rien de métaphysique, plutôt dans une sorte d'hébétude. Comment cela peut-il être que cela soit aussi une part de moi ? La réflexion tourne en rond, sur elle même. Le crâne, à la fois vie et néant, semble contenir questions et réponses. On tourne autour du crâne comme on tourne autour du pot, ne sachant par quel bout l’entreprendre...

Pour prendre du recul, j’ouvre alors mon dictionnaire, pas celui des symboles mais mon dictionnaire tout bête du certificat d’études et je peux y lire ceci:

“Cavité osseuse qui contient l’encéphale, siège de la pensée. Assemblage de 8 os, de forme ovoïde, unis par des sutures, des espaces membraneux non ossifiés, les fontanelles. On distingue la voûte crânienne bombée dont le sommet est le vertex et la base creusée de trous pour le passage des nerfs crâniens, moelle épinière, artères et veines irriguant le cerveau”. Fin de citation. Il est remarquable, qu’à la lecture de cette définition des plus neutres, objective, au style très “encyclopédique”, on puisse y trouver des mots qui sont aussi symboliques: cavité, voûte, ovoïde, encéphale et pensée... Comme si l’objet matériel était, dans son essence même, déjà puissamment symbolique...


Certaines réminiscences surviennent.

Sommet du squelette, impérissable, siège de l’âme et de l’esprit,  à l'image de la caverne, on lui a voué un culte. Principe actif, de force, de vie, il peut devenir trophée. Et s'accaparer le crâne d'un ennemi ne peut jamais faire de mal...
Au sommet du corps, en forme de coupole, il semble comme le ciel du corps humain. La tête sanctifie donc le lieu où elle est enterrée. Le corps, simple charpente, est secondaire mais la tête fait le lien avec l’au-delà, avec nos origines. Détentrice du principe de vie, elle devient un maillon dans la vaste chaîne humaine.  Les alchimistes, experts en la matière,  s’en serviront d’ailleurs pendant les opérations de transmutation et n’est-il pas plus belle image que celle d’Orphée, décapité par les femmes de Thrace, et dont la tête, attachée à la lyre, donnera naissance à la poésie...
Des correspondances verticales s’établissent ainsi entre le cosmos, la nature, et l’homme. Ciel et Montagnes sont sacralisés...Les yeux sont associés aux étoiles et le cerveau au nuages.
Symbolisme de la colonne qui relie le haut et le bas, le divin et l’humain. La colonne vertébrale, affirmation de soi, est alors pierre dressée vers le ciel, axe du monde, arbre de vie, support du monde.  Au sommet de la colonne vertébrale, le crâne, siège de la pensée, est aussi image de l’esprit divin, comme le ciel supporté par l’axe du monde.

Voûte et ciel... Caverne et montagne... Les deux extrémités du monde condensées dans un crâne éclairé par la lueur vacillante d’une bougie...


Témoin muet, objet imputrescible préservé à jamais de la corruption, en marge désormais du cycle éternel de la vie et de la mort, le crâne nous suggère-t-il autre chose ?  Qu’il est tout cela, peut-être, et bien plus encore, plus que l’être anonyme disparu. Une somme, une synthèse de tous les morts des millénaires écoulés. Et surtout, un révélateur, un catalyseur d’une symbolique complexe et multiple.


Dans un tableau du peintre Poussin, le crâne, perché sur un tombeau, ne dit-il pas au passant: “Moi aussi, comme vous, j’étais en Arcadie.” ? Ne nous demande-t-il pas alors  de réfléchir sur nous-même et notre propre existence, de  réfléchir et d’entreprendre l’aride, et pourtant salutaire, introspection ?...
Au delà du miroir, pénétrons alors dans les tréfonds de l’espace crânien, laissons l’esprit vagabonder et, du néant, de ce que je croyais la mort, naîtra peut-être, la lumière éclatante, la vie de l’Esprit retrouvée...

 je contemple, de l’extérieur,  le crâne, caverne miniaturisée, tout en étant moi-même enveloppe, réceptacle, caverne de ma propre pensée. Le crâne devrait, s'il jouait pleinement sa fonction que l'artiste veut lui faire jouer,  être finalement un guide, un intercesseur entre ce que je suis et, plus conscient de ma finitude et de la vanité des choses, ce que je pourrais être.... C’est-à-dire une réflexion sur la mort qui est prélude à la  naissance d'un autre  moi-même, plus spirituel, débarrassés des oripeaux de l’ancienne condition, préjugés, dogmes et passions, attachements inutiles et vains. Le crâne est bien alors le creuset de l’alchimiste d’où naîtra la transformation. Il symbolise bien sûr la mort, le temps mais aussi l’esprit renaissant et la constatation lucide que, durant toute notre existence, nous passons sans cesse par des alternances de petites morts et de naissances annonciatrices de nouvelles vies. Mourir à soi-même, en soi-même,  pour pouvoir renaître autre. On peut citer ici Laurent de Médicis quand il parle de l’amour du beau et du bien: “ Quiconque vit pour l’amour est conduit à la mort car quiconque vit pour l’amour doit mourir d’abord à tout le reste.”. Finalement regarder la mort en face n'est-ce pas aussi, une fois les premiers moments de peur viscérale dépassés,  se consolider, se modifier, s’harmoniser.
Et c’est le crâne qui, d’une certaine façon, dans la brutalité même de son apparence, déstabilise et permet cette perception  plus affinée. Les deux orbites sont alors comme des petites fenêtres qui s’ouvrent sur l’éternité qu’elles renferment. Et c’est par la mort, son image symbolique du moins, qu’on peut s’affranchir de l’espace et du temps, aller à la rencontre d’une mémoire collective, de tous les morts passés de l’autre côté du miroir, et d’une certaine façon, aller à la rencontre de sa propre mémoire, de son moi profond, revisité et reconsidéré. C’est la connaissance qui sauve: me connaître, c’est me comprendre, me saisir comme objet distinct et distant, face au crâne, afin d’être rendue à moi-même, revenir à soi... Une vérité simple et nue mais brutale comme le crâne qui me fixe et me mène, d’un regard vide, au plus profond de l’être.

Ci-dessous, un détail d'un tableau que je n'ai plus et dont j'ai égaré la photo de l'oeuvre en son entier. Mais qu'importe ! Tout n'est que vanité...  

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