... et aussi le simple plaisir d'écrire.

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Un peintre qui crée essentiellement une peinture figurative qu'on peut appeler fantastique, onirique, surréaliste,... Comme on veut... Bien que je ne sois pas insensible à toute forme d'art pourvu qu'elle me paraisse sincère et qu'elle provoque quelque chose en moi... Depuis toujours, je tente de peindre l'individu et la multitude, la matière brute et la lumière intérieure, l'arbre de vie, la femme et les racines, l'enfant et le devenir, la foule errante en quête de valeurs à retrouver, les voies parallèles, les mystères des origines et de la fin dernière... Les “SEUILS”, les félures, les passages qui font de nous d’ éternels errants insatisfaits entre mondes réels et rêvés , entre soi et autrui, entre Vie et Mort, entre bonheur et malheur... Un acte de peindre, nécessaire, à l'origine de rencontres furtives mais intenses, et qui fait naître, quelquefois, au bout d'un pinceau fragile, une parcelle de soi... ...ou tout simplement le plaisir et la douleur de créer...
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mercredi 3 août 2011

Tentation ...


 

Ne vous est-il jamais arrivé de vouloir passer à la trappe ?…. J'entends par là, un jour, d'avoir eu envie de tout lâcher, de faire retraite dans une Abbaye comme celle de la Trappe par exemple.
Si vous êtes un jeune lecteur, cela ne risque pas de vous arriver de sitôt (ou Cîteaux…).Il faut peut-être déjà avoir ressenti une certaine lassitude, avoir porté un regard un peu désabusé sur ce qui fait le quotidien pour éprouver cette envie curieuse d'isolement…
Il m'est arrivé comme beaucoup de regarder un documentaire sur la vie monastique ou de visiter un monastère au cours de mes pérégrinations. Rien de plus banal….
Et j'ai quelquefois éprouvé, vous allez dire cette fois-ci c'est la fin, il est en plein délire mystique ! , comme un sentiment insidieux, une tentation (un peu comme celle de Saint-Antoine mais les démons avaient changé de look), une quasi fascination pour, à la fois l'atmosphère paisible du lieu mais aussi l'ordonnancement parfait des actes qui se répétaient à l'infini, chaque jour identiques à eux-mêmes… Ding ding dong, ding ding dong… C'est l'heure de mâtines…, nones,... complies.
Quand le mouvement incessant de la vie ne vous laisse aucun répit ou, à l'opposé, quand la routine implacable ne vous laisse que du dépit, cette répétition monastique des mots et des actes à l'infini semble apporter la paix à ceux qui la pratiquent.. On peut encore comprendre que le lieu clos, rassurant, l'emploi du temps quasi intemporel à force de recommencement à l'identique fassent envie aux fatigués de la vie trépidante du monde profane… Mais comment expliquer que cette litanie sempiternelle des jours et des nuits ne deviennent pas aussi, à l'exemple de ce qui peut se passer au dehors, routine écrasante, habitudes intolérables ? …. Peut-être qu'une routine porteuse d'un sens, qui élève l'âme (si l'on se place du point de vue du pratiquant), même si elle peut paraître trompeuse pour un athée, transcende cette routine et libère l'homme du matériel pour se consacrer au spirituel…
Ce qui exténue l'homme au dehors de la clôture, l'use, l'ennuie, le vide de sa substance permet peut-être au moine de se construire, de se débarrasser des imprévus, des petites inquiétudes de la vie qui peu à peu nous rongent pour pouvoir se consacrer à ce qu'il pense être pour lui l'essentiel… S'abstraire de l'Avoir et des besoins matériels, s'abstraire de la quête éperdue des promesses du lendemain, s'abstraire des contraintes du travail et des ambitions qui l'accompagnent… S'atteler aux tâches simples pour lesquelles il est fait, jouant humblement sa gamme dans l'orchestre communautaire…
Le lieu y est aussi pour beaucoup… Passionné d'Histoire, et aussi d'Histoire de l'Art, chaque pierre est un peu comme un message d'un passé encore tellement présent. Même athée, je ne peux pas rester insensible à la beauté simple et parfaite d'une abbaye romane, aux jeux des lumières ocres entre les piliers, à la puissance d'une silence envoûtant, troublé, voûte après voûte, par le seul martellement des pas qu'on voudrait plus furtifs...
C'est un peu comme un rêve… On visite ces lieux et l'on s'assoit un moment, nous les incroyants, emplis par une atmosphère qui finalement nous manque ou pour le moins nous interroge. Sinon pourquoi ressentir cela ?
Mais ne craignez rien, malgré ces instants fugitifs, je suis encore bien ancré dans le réel, il faut savoir qu'un ingrédient, et non des moindres, est nécessaire, la foi… Sinon cet espace hors du temps qu'il nous arrive d'envier deviendrait vite un enfer, le comble pour une antichambre du paradis !…
Et d'autre part je suis trop attaché à la vie, avec ce tout qu'elle a de contradictoire, pour me réfugier dans un monde clos, réaction qui m'apparaît un peu comme une fuite. Même s'il elle est vécue comme un engagement par le croyant. Question de point de vue…
Et je préfère très nettement le whisky au vin de messe, et ça, c'est rédhibitoire !...
Il n'en reste pas moins vrai que tout cela pose problème. Je n'hésite pas à me répéter: « On visite ces lieux et l'on s'assoit un moment, nous les incroyants, emplis par une atmosphère qui finalement nous manque. Sinon pourquoi ressentir cela ? »
Ce monde qui se veut de plus en plus rapide, consumériste, cynique d'une certaine façon nous prive à coup sûr de quelque chose… Pas étonnant que le bouddhisme attire autant d'individus. Nous sommes comme amputés de quelque chose. Je dirais même amputés dès la naissance. Quelque chose à conquérir pour être plus complet, plus entier…
Et ce quelque chose, ne devons-nous compter que sur les seules religions pour l'acquérir ?...

A quand un programme politique qui intègrerait les notions de bonheur, de plénitude, de sérénité tout en mettant en avant, évidemment, les conditions matérielles nécessaire à leur obtention


En attendant, vous pouvez vous intéresser à l'oeuvre de Paul Diel, à sa "Psychologie de la motivation" entre autre,  qui nous met à jour les fausses motivations, les fausses illusions, les faux désirs,  qu'ils soient d'ordre matériel, spirituel, politique et même humaniste, et que notre inconscient, assez perfide, nous persuade de leur véracité et de leur pureté. Imagination exaltée et jamais satisfaite qui ne génère qu'une angoisse auto-reproductrice, imaginaire alimenté sans cesse par notre société mercantile qui nous éloigne de ce qui fait notre élan vital, le désir essentiel de tout homme qui, s'il ne s'aveugle pas ou n'est pas aveuglé sciemment, a tout pour trouver cette paix et cette sérénité. 


En acceptant de laisser humblement cette part du Mystère du monde que nous frôlons au coeur lumineux d'une cathédrale, dans le bruissement subtile d'un feuillage ou l'envol puissant gracieux d'une oie sauvage ...

samedi 30 juillet 2011

Gorgone.




Je m’étais absenté quelque temps: problèmes de santé et de motivation… Mais comme j’ai retrouvé la forme, voici un petit texte revigorant et particulièrement chargé de peps comme au bon vieux temps… Il faut que je vous signale aussi qu’il m’a été inspiré par certains articles du blog de John Stalker III. sur Myspace....
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Quand on arrive à un âge certain (l’adjectif est passé derrière le nom depuis peu…) et qu’on a terminé sa vie de labeur d’honnête travailleur, on se retrouve soudainement comme au bord d’un précipice. Je parle du travail « officiel », mon travail de peintre se poursuit ou plutôt va se poursuivre. Il est aujourd’hui au point mort (excusez-moi pour la tonalité négative du mot mort, rien n’y fait, ça vient et revient toujours sous la plume/clavier… Pourtant, j’ai la forme, sacrebleu !...).....
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Un précipice donc… Oups ! Certains vont grommeler « Voilà qu’il refait dans le négatif... » Mais dans tout négatif, n’y-t-il pas de l’argentique  (un peu facile mais je n’ai pas pu résister) ? Il suffit d’aller le chercher… Oui et non donc…....
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Non parce qu’un précipice n’est pas le « bout du monde ». D’un précipice, on peut s’écarter, lever les yeux au Ciel pour appeler à l’aide (même si Dieu n’y est pas) ou tout simplement se les bander et camper en son rebord en toute tranquillité. Ce qui ne se voit pas n’existe pas , non ?.......
Il suffit alors de faire comme si tout danger était écarté et s’occuper... Le mot est lâché: s’occuper. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, trouver d’autres formules pour brûler la vie, ce qu’il en reste… L’édifice bancal que nous avons construit dès l’enfance vient de s’écrouler. Tous nos petits artifices, toutes nos motivations plus ou moins sincères qui faisaient que la vie, bon an mal an, vaille que vaille, déroulait sa pelote, ont volé en éclats… Il reste un peu de fil mais comment, au fil de cette vie qui s’annonce encore, trouver un sens ? .......
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Un sens ! Je n’aurais pas dû employer un « gros mot »… Soyons plus modeste, trouver une raison d’être personnelle, une raison à ce qu’on fait, ce n’est déjà pas si mal. A défaut de trouver Le Sens de la Vie. Ou tout simplement vivre pour le simple plaisir de vivre… Le rêve impossible, pour moi en tous cas !... ....
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Certains y parviennent… Comme je les envie ! Savourer les plaisirs de l’instant, voir dans le Ricoré du matin « tous les matins du monde », s’enivrer à l’avance d’une revigorante promenade sous la pluie battante, lire avec délectation la rubrique nécrologique du journal tant attendu, s’escrimer sur une grille où l’on croise les mots à l’infini, s’endormir serein devant un écran de télévision, témoin constant de la mort programmée du monde, s’émoustiller à la pensée du lendemain qui va forcément chanter… Précipice ou pas, beaucoup l’ignorent, armés des petites recettes de la vie. On le voit sans le voir, absents de tout vertige. Vertige inconnu de certains, vertige de la vie, vertige existentiel… Les Bienheureux… Il y a aussi les vertiges de l’amour mais c'est un peu éculé.....
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Cependant, pour d’autres, la ligne de faille est assidûment présente, béante… Avec aucune recette coutumière pour la combler. On sent confusément que la Vie devrait être autre chose, qu’on évolue sur la superficialité d’un monde dont le spectacle nous déçoit, qu’on s’est fourvoyé, qu’on a perdu l’essentiel. Bref, qu’il y a un malaise… Armés de la conscience, nous avons projeté et mis en place un monde qui nous étouffe. Il ne nous reste pour l’affronter que l’arme suprême qui nous fait tout endurer, l’Illusion…....
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La valise de secours, la trousse de survie, l’Illusion sans laquelle l’enfer serait ici-bas…Mais nous ne sommes pas des Dante en puissance, capable d’une divine comédie ici et maintenant. Lorsque Persée affronte la Gorgone, il lui renvoie son propre reflet, l’obligeant ainsi à se voir nue, à contempler sa propre conscience, sans illusion… Dépossédée du voile de l’Illusion, elle ne peut supporter sa propre image et meurt… Sommes-nous tous des Gorgones, médusés par notre propre apparence au point de ne pas oser soulever le voile et considérer le réel pour ce qu’il est ?.......
 ....
Pas tous…. Certains, malheureusement,  sont dépossédés de toute faculté à s’illusionner… L’arme de l’Illusion leur fait défaut, ils se voient et  voient le monde sans fioritures.
Arme à double tranchant, périlleuse, difficile à manier et qui peut faire autant de tort à celui ou celle qui la possède.
Elle nous cache la vanité du monde et nous permet, d’une certaine façon, d’y survivre (sans Illusion, pas de projet, pas d’anticipation,  pas de réalisation) tout en nous donnant les capacités de s’y noyer. Avec  l’Illusion surviennent les divagations (et pas seulement celle de trouver bon le Ricoré), les errements idéologiques, les tromperies sur soi-même, les projets les plus fous. Avec aux deux extrêmes de la chaîne, la même exaltation imaginative, imagination pervertie, qu’elle soit idéaliste ou matérialiste (le 20ème siècle en fut friand)…. Et la capacité de vivre en toute bonne conscience, une conscience rêveuse, endormie… Le sommeil de la conscience, celle du « juste ».... Et le nec plus ultra: l’illusion de croire en l’Illusion… Jeu de miroirs, jeu de dupes, puisque illusion vient du latin illudere signifiant jeu, jeu des apparences trompeuses, des faux semblants… pris pour argent comptant.....
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Au bout du compte, deux façons extrêmes de faire avec le monde. Le rêver, en toute bonne conscience, forts de nos certitudes ou s’en détacher, s’en abstraire, en écartant le désir sur lequel se fonde toute Illusion. Se tromper ou se mutiler… Entre, les deux l’effarement et la chute. ....
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Pas forcément. ....
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Entre les deux, toute la palette des formes de résistances. Composer avec sans se compromettre… Affirmer une lucidité rude mais tranquille face au miroir aux alouettes. Auto-dérision contre auto-illusion. Recherche de soi, en soi, afin de faire corps avec les fondements naturels à retrouver… Avec des outils .......
 ....
Mais je vais vous quitter pour ma promenade quotidienne (c’est pas vrai !...) et reviendrai plus tard pour me donner l’Illusion de dire des choses intéressantes sur  l’Illusion et les béquilles de la Vie, l’Art en particulier, la plus sublime...

jeudi 28 juillet 2011

Espoir et espérance. 2ème partie.

Suite ...

Si on se méfie de l'espoir dans le sens où un penchant excessif pour un futur idéalisé nous fait passer à côté du bonheur de se satisfaire de ce que l’on
vit au présent, si certaines sagesses épicuriennes ou orientales nous incitent à désirer ce qui dépend de nous et à agir maintenant plutôt que de vivre dans l'espérance avec peut-être la déception au bout du chemin, il s'agit surtout d'un idéal qu'on n'atteint jamais, à mon avis... L'espoir est chevillé à nous, on en a besoin, même si on se dit sans illusion. Ne serait-ce que l'espoir de guérir quand on est malade...

Le philosophe
Alain a écrit de belles pages simples et vraies dans ses "Propos sur le bonheur". Il ne s'agit pas de vivre sans espoir mais de donner un avertissement à ceux qui ne sauraient vivre que dans une satisfaction rêvée, fantasmée du futur au détriment de la satisfaction simple de l'instant... Tout en sachant qu'il ne sagit pas d'une règle, d'une généralité mais d'un principe de vie pouvant simplement servir de guide, en filigrane... On ne va pas demander à un accidenté qui gît sur son lit d'hôpital de jouir de l'instant présent !... C'est là que l'espoir joue un rôle éminent.


L'espoir n'est pas simplement qu'une somme d'illusions.

Un
espoir ancré dans le réel (c'est peut-être une antithèse mais c'est pour le différencier des délires irrationnels et compulsifs qui peuvent nous mener au désastre), c'est une sorte, à mon avis, de mixture faite d'un peu d'illusions, d'un zest de rêves et d'utopies, d'une bonne dose de lucidité et de connaissance de soi, d'un fort pourcentage de détermination, de conviction et de volonté... Mais tout dépend des situations. Selon les cas, il faudra varier la quantité des ingrédients ...

Comme quoi selon ce qu'on vit, la façon dont le vit, le même principe, l'espoir, pourra être perçu comme un moteur (projet), un support (psychologique) ou au contraire un piège (course stérile toujours insatisfaite vers l'avenir )...
On peut
aussi avoir une vision négative de l'humanité en soi, n'avoir plus d'illusion à son sujet mais entretenir un espoir au niveau individuel ( pour soi ou pour les autres)... On peut toujours espérer d'un individu qu'il s'améliore en tant que personne que j'ai pu juger et apprécier, d'une situation précise qu'elle évolue sur laquelle j'ai prise... Si le Tout semble en perdition, les parties qui le composent, prises séparément, ne sont pas forcément mauvaises

J'ai déjà croisé des personnes, c'est rare je l'accorde, qui ne fondaient pas tout sur l'espoir. Ne pas avoir d'espoir veut dire, dans ce sens là, ne pas avoir toujours le regard porté vers l'avenir, entreprendre bien sûr, anticiper et prévoir, mais d'une manière lucide et sereine... sans se donner des buts hors de portée.

Ces personnes avaient cette faculté de vivre l'instant présent sereinement, de faire leur travail en s'y impliquant totalement dans l'instant, de communiquer pleinement en donnant l'impression aux autres qu'ils étaient disponibles, à l'écoute, entièrement là, et pas déjà dans leur tête sur ce qu'ils feront l'heure suivante... Il se dégage alors d'elles-mêmes une sorte tranquillité sereine, d'aura empathique parce qu'elles se donnent totalement et calmement au présent dans ce qu'elles font, dans ce qu'elles disent et même dans ce qu'elles projettent ( un espoir sans illusion, un espoir mesuré et maîtrisé...)...
C'est un
équilibre à trouver entre espérer sans tomber dans des rêves impossibles (ce qu’on peut appeler illusions) car l'espoir nous aident tous à avancer et ne pas espérer pour pouvoir jouir de ce qu'on a et pas seulement agir pour ce qu'on voudrait avoir...

Mais de toute façon, tendre vers cet idéal qui consiste à se libérer des chaînes de l'espérance (attendre toujours quelque chose...), c'est aussi espérer quelque chose de quasi impossible. On tourne alors en rond… comme des poissons pris dans la nasse d’un tourbillon insensé où surnager est déjà un exploit ...



Espoir et espérance. 1ère partie.

Certains font une différence entre l’espoir et l’espérance.

L’espoir se rattacherait à notre vie terrestre, quotidienne, matérielle. Il a les pieds sur terre, bien ancré dans la glaise, même si parfois il se permet des rêves impossibles.

L’espérance aurait plutôt les yeux tournés vers le ciel ou l’après-mort. Elle relève de la transcendance. La transcendance appartient à tous… Ce qui n’a pas empêché les religions de se l’approprier, en particulier le Christianisme, comme si le droit à l’espérance, le visa de sortie, ne pouvait être délivré que par lui… C’est d’ailleurs ainsi que l’entendait Sarkozi dans son livre, « La république, les religions, l’espérance » et dans son discours au Vatican lorsqu’il affirma qu’un prêtre était mieux qualifié pour donner de l’espérance qu’un instituteur… En fait, l'enjeu a d'abord été de nous débarrasser du poids de l'Espérance religieuse et de poser la transcendance comme pouvant exister sans religion. Il a été ensuite de nous débarrasser en Occident de cette course obligée au bonheur qui semble toujours nous échapper au moment ou on semble l'atteindre.

On a peine à imaginer une vie sans espoir. On l’assimile aussitôt à une vie désespérée. Le non espoir signifierait désespoir…
Si l’homme a un cerveau qui lui permet d’anticiper, d’imaginer, de se projeter, ce n’est pas pour rien.
J’ai déjà évoqué l’ambition, du désir, des croyances, de l’illusion, ...Tout cela semble avoir parti lié… Espérer c’est désirer, c’est croire que demain sera meilleur, c’est croire en l’avenir, c’est avoir des rêves, de l’ambition dans le bon sens du terme… C’est aussi bien souvent le ferment des convictions, ce qui nous aide à nous déterminer en vue des fameux « lendemains qui chantent »…

Mais problème… Si l'espoir est lié à un futur matériel, psychologique, etc ... c'est à dire à un bonheur possible, tout va bien tant qu’on a visé juste sinon la place est grande ouverte au ressentiment, à la récrimination, au ressassement et en fin de compte au report de la culpabilité sur les autres, comme le dit si bien Abd Al Malik dans sa chanson « Les autres », hommage à Jacques Brel...

Quelqu'un a dit
« le bonheur est une promesse », c’est-à-dire qu’il résiderait dans l’attente… l’espoir de bonheur. Il me semble qu’il doit être aussi l’acte qui me permet de combler cette promesse sinon la vie ne serait qu’espoir. Mis encore faut-il avoir les moyens de ses actes...
C’est la grande force du Christianisme d’avoir fait de l’espoir une espérance, d’avoir remiser l’espoir aux calendes grecques, promis le bonheur dans les cieux tout en le faisant dépendre de ce que nous faisons sur cette terre de souffrances… Un joli coup de force: agissez dès maintenant dans l’espoir ….d’un résultat que vous n’obtiendrez pas ici bas.

Je crois que notre conception de l’espoir et du bonheur sont typiquement occidentale. Les sagesses asiatiques voient la choses autrement. Ainsi qu'Epicure ou Spinoza qui ont inspiré un philosophe contemporain, Henri Comte-Sponville. Il a écrit un petit livre intitulé « Le bonheur désespérément » où il tente de sortir de cette emprise de l’espoir ou de l’espérance. Il y a beaucoup à dire
.
Juste une citation: " Il y a plaisir, il y a joie quand on désire ce qu’on a, ce qu’on fait, ce qui est. C’est ce que j’appelle le bonheur en acte. En un certain sens, c’est un bonheur désespéré car c’est un bonheur qui n’espère rien ".
Je crois qu'il y a deux pôles opposés aussi dangereux l'un que l'autre lorsqu'ils sont extrêmes,
l'idéalisme et le nihilisme... Encore une fois, on va revenir au "juste milieu" et selon les circonstances de la vie, on sera ballotté de l'un à l'autre, comme de Charybde en Sylla, à moins de trouver la ligne médiane: une vision réaliste mais confiante de l'homme en tant que personne perfectible tout en restant lucide et sans trop d'illusion sur l'Humanité dans sa globalité, une projection de ses désirs et de ses espoirs raisonnée qui s'appuie si possible sur une bonne connaissance de ses réelles chances de les combler, une attitude active et volontaire dans le présent tout en ménageant des parts de rêves et d'illusions qui nous sont nécessaires mais ne doivent pas devenir des pièges oniriques stériles et paralysants...


Ne se faire aucune illusion dans le sens où on regarde la réalité en face telle qu'elle est, c'est du réalisme, de la lucidité. Cette réalité a ses faces positives et négatives, ses moments difficiles et ses instants de sérénité... même s'il ne se nourrit pas d'illusions. On en est tous un peu là, sans illusion sur l'humanité avec un grand H peut-être, mais avec ses doutes personnels et ses espoirs avoués ou non, conscients ou inconscients (ils te font alors te lever le matin )...

Pour un bouddhiste, l'absence d'espoir n'est pas le désespoir par exemple... C'est nous qui envisageons l'absence d'espoir comme un désespoir car nous envisageons la vie comme une quête perpétuelle d'un bonheur qui semble toujours hors de portée...

mardi 26 juillet 2011

De la difficulté d'être lucide ...

1ère parution sur Myspace le 26/04/2009

Tout d’abord rendons à César (non pas Jules mais Ju2), ce qui est à César… Ce qui va suivre est une divagation réflexive issue de 2 textes postés par Ju2.  L’un fait référence au livre "Vivre et penser comme des porcs" de Gilles Châtelet.
Quant au 2ème le voici : «J'ai rencontré, lorsque j'étais jeune, une divinité dangereuse et je ne voudrais raconter à personne ce qui envahit alors mon âme -- pas plus les bonnes que les mauvaises choses. C'est ainsi que j'appris à me taire à temps et aussi que l'on doit apprendre à parler pour bien se taire: qu'un homme qui a des arrière-plans a besoin de premier plans, que se soit pour lui-même ou pour les autres. Car les premiers plans sont nécessaires pour se reposer de soi-même et pour rendre possible aux autres de vivre avec nous.» Friedrich Nietzsche 1885



Ces deux textes renvoient finalement à des problématiques assez proches. J’espère que Ju2 ne m’en voudra pas de m’en servir comme tremplin. A condition de réussir le plongeon… Qu’il me pardonne si je bois la tasse ou si j’altère quelque peu ses propos… C’est justement leur pertinence et leur intérêt qui me conduisent à ce qui va suivre…

Je tiens aussi à remercier un professeur de philosophie, Simone Manon, pour sa sélection de textes d’auteurs dans laquelle j’ai puisé et ses commentaires éclairants… 

Ju2 met l’accent sur une caractéristique de notre société : la manipulation et l’acceptation consciente ou non d’un consensus mou typique d’une société consumériste. La masse au sein de laquelle l’individu devrait s’épanouir ne fait que diluer les volontés et instiller ce qu’on a appelé la « pensée unique ». Le porc serait aussi un mouton … de Panurge.
Nous avons su, peu ou prou, au fil des siècles, faire sauter les verrous de la censure, de l'Eglise, libérer la pensée, libérer les corps, libérer nos émotions. Mais il reste la censure la plus prégnante, celle dont on ne débarrasse pas si facilement, l'auto-censure et le conditionnement… orchestrés par un monde gouverné par la raison purement économique, au nom de la seule rentabilité, un monde qui tourne peu à peu au rythme des « roues de la fortune », des rêves dorés, … et des frustrations profondes si le réveil est brutal. Aussi semble-t-il plus aisé de continuer à sommeiller dans les douces habitudes que nos Parques modernes tissent au jour le jour, de s’abandonner aux petites ficelles de la vie que d’autres tirent pour nous…. D’autant plus facile quand on se laisse bercer par un ballet télévisuel savamment orchestré. Pour atteindre une béatitude  (non, c’est pas du Ségolène…) collective, annihilisatrice de toute pensée lucide… Du grand déballage de la télé-réalité (un accessit particulier pour Delarue) au journal aseptisé de TF1 en particulier, des jeux d’argent facile qui font rêver dans les canapés aux émissions de variété formatées où les politiques viennent aussi faire le show, le téléspectateur a sa drogue homéopathique habilement distillée. Au fait, les stupéfiants ne sont-ils pas prohibés ? Mais je décerne un pompon d’or, cela n’engage que moi bien sûr, au « Plus grand cabaret du monde » qui allie racolage et populisme de bas étage sous couvert de bonnes intentions. Tout y est formidable et tout le monde s’aime… Ajoutons, pour clore le chapitre qui nécessiterait un livre, le quasi monopole d’une TV où l’on voit toujours la même coterie, écrivains, chanteurs, acteurs qui viennent se promouvoir et se congratuler alors que le pays regorge de talents qui n’y auront jamais accès… Au fait, le squat n’est-il pas prohibé ? Merci quand même au Web qui permet à tous ceux-là de trouver une  voie d’expression en dehors de la « petite lucarne » officielle… 

Le texte de Nietzsche est toujours d’actualité :  on a l’impression que la "Civilisation des (bonnes ?) moeurs" nous a poli, au fil des générations,  pour nous permettre de nous rendre supportables aux autres et nous a forgé ce premier plan de la conscience sur lequel nous pouvons reposer nos certitudes et nos illusions...  Mais qu’en est-il lorsque les premiers plans s’uniformisent, selon les convenances, selon les pressions diverses et sournoises du seul modèle de civilisation qui nous est proposé (imposé ?) ? Ainsi, nous les présentons aux autres sous la forme de l’apparence et bien peu creusent suffisamment pour percer les façades et entrevoir ce que chacun peut être véritablement… en arrière, au fond, essentiellement… Il arrive que les arrières-plans s’affichent cependant : si nous les avons trop enfouis, occultés,  ils peuvent s’ouvrir à soi-même par l'auto-analyse, l’introspection, la réflexion lucide sur soi. Ils peuvent aussi se révéler aux autres par la libération de la parole ou ... la sublimation dans l'Art par exemple. Au risque de déranger… puisque cette émergence remet en question le consensus.

***
Interlude: la contestation dans le domaine religieux fut particulièrement  « brûlante »Ici, Giordano Bruno, ce chercheur d’étoiles impénitent… Il fut torturé et brûlé en 1600 pour refus de se rétracter et de faire pénitence justement… 
 
Je me suis donc posé, à partir de ces prémisses, une question qui me trotte dans la tête depuis des lustres : elle est relative à ce jeu permanent entre la nécessité d’être lucide et conscient et la quête de la satisfaction (pour ne pas dire le bonheur… n’allons pas jusque là).

Pour me simplifier la vie qui n’est pas toujours satisfaisante justement, je me permets de citer un passage que j’ai déjà écrit ailleurs : « J'envie quelquefois, quand je vais acheter un journal, ce joueur qui sait profiter du plaisir simple de l'instant, qui peut s'abîmer dans la douce inconscience teintée d'espoir que procure l'achat de ces petits billets à gratter du bonheur éphémère. Mais encore faut-il pouvoir y croire... C'est comme la Foi, quand on ne l'a pas, rien n'y fait, on a beau le vouloir … J’envie bien souvent aussi  la douce inconscience (ou la grande sagesse, allez savoir !) de mes 2 chattes que la chaleur d’un radiateur, une ou deux caresses, un sachet de Whiskas bien sûr (nous, on a toujours le Whisky) suffisent à envoyer au Nirvana des chats pour quelques heures… »
Ainsi se pose le choix entre l’exigence vis-à-vis de soi et du monde qui nous pousse à lutter sans répit contre le consensus (au risque de se sentir plus malheureux, déprimé car trop clairvoyant, sans concessions) et la douce hébétude liée au phénomène de masse qui nous fait glisser doucement vers la médiocrité…
Le mot « choix » n’est certainement pas celui qui convient. Il s’agit ici aussi de conditionnement, d’éducation, de milieu social… Le choix n’intervient que si, à l’issue d’une prise de conscience progressive (encore faut-il qu’elle soit humainement possible), je décide de réagir, d’aller au-delà du miroir des apparences, d’ôter de temps à autres les premiers plans même s’ils « sont nécessaires pour se reposer de soi-même et pour rendre possible aux autres de vivre avec nous », de casser le moule imposé pour devenir, allez ! on va faire dans l’Heroïc Fantasy,  un paladin de la « vérité », un chevalier errant en quête d’un Graal qui n’aurait rien de mystique…
 Notre société techno-capitaliste a certainement emballé le phénomène, la crise actuelle a certainement mis en pleine lumière  ce qui préexistait déjà, il n’en reste pas moins que l’Homme, depuis Socrate en passant par Montaigne,  s’est toujours trouvé très mal à l’aise sur ce plan… Quelques pensées d’auteurs qui pourraient nous éclairer viendront étayer ces propos… et prouver que la question ne date pas d’hier !....



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Interlude « amusant » :  citons Daumier, emprisonné 6 mois pour avoir fait de Louis-Philippe une « poire », qui se rabat sur la caricature de la bonne société parisienne. On pourrait se croire au « théâtre ce soir »… 


 
Je crois, mais mes neurones vieillissants me font quelquefois défaut, que c’est Lacan et même Pascal qui affirmaient que la vie n’était que désirs en marche… Pascal en faisant une source de notre insatisfaction perpétuelle. Vivre, c’est être dans la quête du désir plus que dans sa satisfaction… Qu’il soit désir d’accéder à la satisfaction de plaisirs « inférieurs » ou « supérieurs » évoqués par nos penseurs ou autre, il est néanmoins le moteur de notre élan vital. Mais la recherche de la satisfaction immédiate, surtout dans le domaine du matériel ou des plaisirs futiles tant vanté par nos publicitaires, annihile artificiellement et temporairement le désir … Ce vide momentanément comblé laisse place aussitôt à un autre vide, un autre manque suscitant un nouveau désir avide de sa satisfaire dans l’immédiateté… Et ainsi de suite… Celui qui, tout en ne boudant pas cet aspect mais en le maîtrisant, choisit la voie de la difficile recherche d’une vérité pourfendeuse des faux-semblants refuse donc l’aveuglement du « divertissement » pascalien pour appréhender le monde sans fards… Comme tout homme, il est aussi de plein pied dans le désir mais l’objet de la quête progressive, toujours fuyant (qui peut prétendre avoir totalement traversé le miroir des illusions ? ) le maintient dans un désir permanent, émaillé de grandes satisfactions intellectuelles lorsqu’il pressent avoir avancé quelque peu sur ce chemin sans limites, désir permanent toujours tendu vers le même objet… 



Même si le refus de se tromper, la volonté de mettre à bas le mur des illusions risque à tout moment de nous plonger dans la désillusion... On plonge alors dans ce que Kant nomme la misologie, la haine de la raison, le gouffre d’une hyper lucidité à la Cioran qui nous ferait même envier ceux qui ne s’en approchent jamais…

Dans « Fondements de la métaphysique des mœurs », Kant remarque « que plus une raison cultivée s’occupe de poursuivre la jouissance de la vie et du bonheur, plus l’homme s’éloigne de vrai contentement. Voilà pourquoi chez beaucoup, et chez ceux-là mêmes qui ont fait de l’usage de la raison la plus grande expérience, il se produit, pourvu qu’ils soient assez sincères pour l’avouer, un certain degré de misologie, c’est-à-dire de haine de la raison. En effet, après avoir fait le compte de tous les avantages qu’ils retirent, (……), toujours est-il qu’ils trouvent qu’en réalité ils se sont imposé plus de peines qu’ils n’ont recueilli de bonheur ; aussi, à l’égard de cette catégorie plus commune d’hommes qui se laissent conduire de plus près par le simple instinct naturel et qui n’accordent à leur raison que peu d’influence sur leur conduite, éprouvent-ils finalement plus d’envie que de dédain ».



Inutile de faire du commentaire de texte. Je crois que la pensée de nos auteurs est claire et limpide sur la question, même s’il existe des approches un peu différentes, des nuances. Rousseau, dans son « Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes », enfourche évidemment son dada et met l’accent, quant à lui, sur la bonté essentielle d’un homme perverti par la société. « Ce n’est pas sans peine que nous sommes parvenus à nous rendre si malheureux. Quand d’un côté l’on considère les immenses travaux des hommes, tant de sciences approfondies, tant d’arts inventés, tant de forces employées, des abîmes comblés, des montagnes rasées, des rochers brisés, des fleuves rendus navigables, des terres défrichées, des lacs creusés, des marais desséchés, des bâtiments énormes élevés sur la terre, la mer couverte de vaisseaux et de matelots, et que de l’autre on recherche avec un peu de méditation les vrais avantages qui ont résulté de tout cela pour le bonheur de l’espèce humaine, on ne peut qu’être frappé de l’étonnante disproportion qui règne entre ces choses, et déplorer l’aveuglement de l’homme qui, pour nourrir son fol orgueil et je ne sais quelle vaine admiration de lui-même, le fait courir avec ardeur après toutes les misères dont il est susceptible, et que la bienfaisante nature avait pris soin d’écarter de lui. Qu’on admire tant qu’on voudra la société humaine, il n’en sera pas moins vrai qu’elle porte nécessairement les hommes à s’entre-haïr à proportion que leurs intérêts se croisent, à se rendre mutuellement des services apparents et à se faire en effet tous les maux imaginables »

Il privilégierait presque un état de douce ignorance  naturelle à ce que l’homme civilisé doit endurer. Finalement, l’incapacité à imaginer au-delà du moment présent ou, quant à nous, la capacité à en dissoudre l’angoisse permanente dans l’abondance des divertissements et dérivatifs serait une sorte de vaccin contre l’angoisse. L’illusion comme bouclier contre la peur, plus efficace que le prozac…

Illusion, le mot est lâché… Illusion d’un  matérialisme porteur d’un « bonheur » où triomphe l'idée de réussite individuelle, de consommation effrénée... A l’opposé, illusion des idéalismes exacerbés qui procurent à leurs adeptes de réconfortantes "missions" spirituelles qu'ils ne seront jamais capables d'atteindre… Les illuminés de la Foi…
Les 2 pôles extrêmes, paravents masquant le réel, autant néfastes, autant symptômes d’une fuite en avant perpétuelle.  

Prendre le contre-pied du consensus ambiant s’avère donc ardu et, pour reprendre une expression de Ju2, faire le choix de l’anti-médiocratie, remonter à contre-courant, opter pour une vue lucide des choses, se desciller les paupières en quelque sorte, semblerait donc induire une recrudescence de l’angoisse ou la montée d’un désenchantement, d’une déconvenue…  
Cavanna, pour citer un auteur moins classique et plus marrant (pas ici !), nous le crache « en pleine gueule pour reprendre son expression : «  La conscience est là, je ne peux pas faire qu'elle n'y soit pas, je ne peux pas faire comme si elle n'y était pas, je ne peux pas redevenir singe, ou chien, ou limace, ou caillou... La conscience est là, c'est à dire l'angoisse, en pleine gueule." Elle est là, le choix est simple : la fuir et l’endormir dans l’action vaine ou l’affronter en face… au risque de finir pétrifiés comme ceux qui osèrent contempler leur propre moi éventuellement coupable dans le regard de Méduse…



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Mais il existe peut-être une alternative…  
Oser regarder les choses en face, se mettre au service de la raison et de la connaissance est à différencier de la quête éperdue d’un bonheur. Il s’agit plus d’être « vertueux » que d’être heureux. Et corollairement, la conscience réconfortante pour l’esprit d’être sur le chemin de la vertu, chemin que n’épargne ni doute ni douleur, peut s’avérer une approche plus sûre, non pas du bonheur mais de la satisfaction de soi…

Voici un petit emprunt à l’inévitable Wikipedia. Pardonnez moi ce recours devenu consensuel, c’est le comble !... « La vertu est une notion à l'intersection des ensembles de la philosophie, de la religion et du politique, qui est encapsulée à notre époque par le politiquement correct, et était définie autrefois comme l'humain vertueux, c'est-à-dire celui qui tire parti des circonstances pour agir avec toujours le plus de noblesse possible. »  http://fr.wikipedia.org/wiki/Vertu

C’est Descartes, dans une
« lettre à Elisabeth », qui le souligne particulièrement : la satisfaction intellectuelle est bien loin de la gaieté futile. Les « grandes joies » procurées par la connaissance objective sont amples et durables. L’exercice de la vertu (qui porte en soi sa propre satisfaction) est supérieur à  la quête d’un bonheur toujours fuyant…  « C’est pourquoi, voyant que c’est une plus grande perfection de connaître la vérité, encore même qu’elle soit à notre désavantage, que l’ignorer, j’avoue qu’il vaut mieux être moins gai et avoir plus de connaissance. Aussi n’est-ce pas toujours lorsqu’on a le plus de gaieté, qu’on a l’esprit plus satisfait ; au contraire, les grandes joies sont ordinairement mornes et sérieuses, et il n’y a que les médiocres et passagères, qui soient accompagnées du ris. Ainsi je n’approuve point qu’on tâche à se tromper, en se repaissant de fausses imaginations; car tout le plaisir qui en revient, ne peut toucher que la superficie de l’âme, laquelle sent cependant une amertume intérieure, en s’apercevant qu’ils sont faux. Et encore qu’il pourrait arriver qu’elle fût si continuellement divertie ailleurs, que jamais elle ne s’en aperçût, on ne jouirait pas pour cela de la béatitude dont il est question, pour ce qu’elle doit dépendre de notre conduite, et cela ne viendrait que de la fortune.»


C’est ainsi que ce que j’accepte de perdre, la certitude rassurante de mes illusions, peut s’ouvrir sur un réel contentement intérieur. D’ailleurs, n’est-ce pas ici que se joue tout le drame de la condition humaine : accepter le risque. Et n’est-ce pas lorsque nous décidons justement de lutter et que nous triomphons par paliers des obstacles,  que nous ressentons la véritable joie, celle d’avoir refusé la facilité et l’étourdissement ? ... Ce sentiment si subtile d’avoir touché du doigt, même si peu, ce qu’on nomme dignité et dont se nourrit l’estime de soi…  Même au prix du sacrifice de nos « grandes illusions » ou de nos tristes remèdes…


On en arrive alors à côtoyer le paradoxe, je ne sais si vous l’avez déjà éprouvé, de vivre comme un peu dédoublé, une vie où se mêlent mélancolie et joies fugitives, amertume et ferveur, pessimisme et espérance, envie de se résigner et conviction de poursuivre sa route…



Terminons par une remarque de  John Stuart Mill extraite de  « L’utilitarisme » écrite en 1861 et qui revêt des accents très modernes. On la croirait écrite de la veille !... . « On peut dire encore qu’il ne manque pas de gens qui sont, en débutant dans la vie, animés d’un enthousiasme juvénile pour tout ce qui est noble, et qui tombent, lorsqu’ils prennent de l’âge, dans l’indifférence et l’égoïsme. Mais je ne crois pas que ceux qui subissent cette transformation très commune choisissent volontairement les plaisirs d’espèce inférieure plutôt que les plaisirs supérieurs. Je crois qu’avant de s’adonner exclusivement aux uns, ils étaient déjà devenus incapables de goûter les autres. Les hommes perdent leurs aspirations supérieures comme ils perdent leurs goûts intellectuels, parce qu’ils n’ont pas le temps ou l’occasion de les satisfaire…. »



Ajoutons, petit clin d’œil à Ju2 et à Gilles Châtelet, et pour achever par où nous avons commencé,  cette phrase du même Stuart Mill qui résonne comme une conclusion : «  il vaut mieux être Socrate insatisfait qu’un imbécile satisfait. Et si l’imbécile ou le porc sont d’un avis différent, c’est qu’ils ne connaissent qu’un côté de la question : le leur. L’autre partie, pour faire la comparaison, connaît les deux côtés. »

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Interlude : Un Socrate insatisfait peut-être mais l’insatisfaction mène quelquefois au pire… Ci-dessous « le procès de Socrate »


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Une dernière chose… De même que l’homme peut-être ange ou démon, ange et démon, il peut aussi être un aigle et un porc… Les deux à la fois, chez le même individu, moi, vous, nous… Celui qui ne se verrait qu’en aigle constamment triomphant, survolant de bien haut la masse porcine, pécherait par orgueil et auto-aveuglement… On sait,  depuis Icare,  le sort qui pourrait l’attendre… Tout est question de connaissance de soi, connaissance de l’ambivalence qui nous anime, de discernement … pour faire le choix de la raison et de la vertu sans oublier l’abîme toujours proche de notre inconscient, l’océan toujours menaçant des multiples tentations et facilités de la vie… Même si un bon Chivas de temps en temps, ça ne se refuse pas… :)



Excusez la longueur mais vous pouvez lire ce texte à dose homéopathique… Trois lignes sous la langue chaque soir. Je m’étends, je m’étends, c’est mon péché peu mignon. Pas très vertueux tout ça… Un effort à faire de ce côté-là.



A+ Daniel
Quelques sites intéressants où chacun devra faire le tri bien sûr… 
Un peu en marge, un film à voir : « La question humaine » de Nicolas Klotz (2007). Film sur la manipulation qui met l’accent sur le mensonge des mots, leur puissance d’annihilation. Le film, adapté d’une roman de François Emmanuel,  fait un rapprochement osé entre la rationalisation technicienne nazie et le pragmatisme froid des grandes firmes libérales sans jamais établir une relation de cause à effet évidemment. Et heureusement…
Mais, au-delà des circonstances et des contextes, il pointe du doigt une même volonté d’occulter l’humain, de le réduire à une simple chose, que l’on garde ou rejette….

Finalement, on reste seul avec sa conscience...