... et aussi le simple plaisir d'écrire.

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Un peintre qui crée essentiellement une peinture figurative qu'on peut appeler fantastique, onirique, surréaliste,... Comme on veut... Bien que je ne sois pas insensible à toute forme d'art pourvu qu'elle me paraisse sincère et qu'elle provoque quelque chose en moi... Depuis toujours, je tente de peindre l'individu et la multitude, la matière brute et la lumière intérieure, l'arbre de vie, la femme et les racines, l'enfant et le devenir, la foule errante en quête de valeurs à retrouver, les voies parallèles, les mystères des origines et de la fin dernière... Les “SEUILS”, les félures, les passages qui font de nous d’ éternels errants insatisfaits entre mondes réels et rêvés , entre soi et autrui, entre Vie et Mort, entre bonheur et malheur... Un acte de peindre, nécessaire, à l'origine de rencontres furtives mais intenses, et qui fait naître, quelquefois, au bout d'un pinceau fragile, une parcelle de soi... ...ou tout simplement le plaisir et la douleur de créer...

mercredi 3 août 2011

John is dead. 1ère partie.





Allez, une fois n’est pas coutume, je vous convie aux derniers instants d’un ami...

Jean est parti, nous a quittés…. Je n’ose pas prononce l’expression tabou, « Jean est mort » …. Notre époque cultive l’art de l’euphémisme pour épargner nos « sensibilités » d’homme moderne ou cacher la cruelle réalité des choses qui gratouillent nos consciences (comme la femme de ménage promue technicienne de surface.. avec le même salaire). Alors disons le crûment: Jean est mort… Ou « John is dead », ça a un peu plus de gueule… Un p’tit côté Lennon…

Mais qui est Jean ? Moi, vous, tout le monde… Un anonyme qui n’a pas fini sur le trottoir du Dakota Hôtel. J’aurais pu l’appeler Vincent, François ou Paul pour faire un p’tit clin d’œil à Sautet…. J’ai trouvé que Jean sonnait bien, comme les trompettes de l’Apocalypse… J’avais pensé à Lazare mais c’est une exception qui conviendrait fort peu aux propos qui vont suivre… Il me fallait un vrai mort, un pur et dur, à « six feet under » ad vitam eternam…

Avant la fin, nous avons beaucoup échangé… Car pour Jean il s’agissait bien d’une fin. Comme la plupart des hommes, il refusa jusqu’aux derniers instants « les petits arrangements avec la mort ». Il n’était pas du genre à s’aveugler en s’inventant un après, un ailleurs, comme nous pouvons aussi nous créer des petits arrangements quotidiens avec la vie, nos manques, nos incapacités à agir... Il n’était pas du genre à transiger, Jean, à pactiser avec Dieu. Un peu avec le diable, avouons le... Dieu ait son âme ! Oups!... Excuse moi Jean mais 2 millénaires d’habitudes ne disparaissent pas si aisément....

Je dois dire qu’il m’a bluffé jusqu’à la fin, prêt à affronter sereinement le Néant ou le Mystère (il était plutôt agnostique) alors qu’il n’avait pas le recours des béquilles conçues par un Imaginaire religieux… Pas d’Extrême-Onction, tout juste une extrême ponction imposée par un acharnement thérapeutique...

Mais chapeau, Jean, bien que tu n'en portât jamais !… Résister ainsi à cet étrange pouvoir de l'esprit à se tromper lui-même, ce n’est pas donné à tout le monde. J’ai écrit récemment à une amie sur le web que Mermoz ou Saint-Ex, je ne sais plus, avait fait cette allusion au renoncement divin, réelle condition de la grandeur humaine... Puisque c’est choisir d’être libre mais aussi d’être seul face à l’Après... Tu as su faire tienne cette position courageuse: assumer sa solitude dernière et sa disparition définitive…

Mais partir n’a pas été de tout repos éternel… Tu m’avais confié ton désir de choisir toi-même l’heure du grand saut sans élastique…. Problème: l’élastique médical est solide et personne n’osa le couper pour accéder à ton désir.

Je suis allé te voir au fin fond de ces mouroirs modernes et aseptisés. Les visites étaient peu nombreuses. Pas de bol, Jean… Au beaux jours du XIXème romantique, la mort était belle, on pleurait abondamment et les deuils étaient exubérants. Tu es mort trop tard. Forcément, fallait pas naître trop tard non plus… C’est vrai que t’es pas toujours beau à voir et, c’est pas ta faute, mon vieux, mais tu nous rappelles ce qu’on veut, nous hommes modernes, à tout prix oublier, tu nous rappelles ce qu’on sera inévitablement… Alors faut pas nous en vouloir: les aspects extérieurs de la décrépitude, de la maladie et de la mort, on n’en veut plus. On n’est plus au Moyen Age quand même… Là pour le coup, t’es vraiment né et mort vraiment trop tard. Jadis, tu n’aurais effrayé personne. Faut dire que la mort, on connaissait, c’était une « amie » de tous les jours... On savait l’affronter et surtout s'y préparer. Tu aurais eu à tes côtes ton "Memento mori", petit recueil de la bonne mort, tu serais mort chez toi, entouré des tiens... A moins bien sûr, avec ton manque de bol habituel, de t’être fait étriper dans une guerre de cents interminable (aujourd’hui, on est plus rapide et efficace, modernité oblige) ou égorger sur les bonnes routes du royaume… Mais bon ! tout n’était pas parfait non plus en ces temps pourtant bénis par Dieu, à l’abri des cathédrales, et sous la protection des prières de moines « désintéressés » qui n’avaient pas encore découvert les vertus du fameux Chaussée…

Mais tu nous quittes en 2009 !… On n’est plus des brutes . La médicalisation, le confort, l’intimité, l’hygiène personnelle ont progressé. On n’a plus la sensibilité grossière de nos ancêtres, nos sens affinés ne supportent plus les odeurs ou les souffrances de la mort telle qu’on la vivait auparavant. Les charniers, c’était d’une autre époque comme ce splendide Cimetière de Innocents où les ossements s’entassaient dans des niches devant lesquelles on venait faire son marché !... Répugnant !... Insupportable !... Ou à la rigueur à quelques milliers de km de notre bon pays. Un charnier roumain ou bosniaque, ça remue les consciences mais épargne nos sens (surtout la vue et l’odorat) polis par les bonnes mœurs et la civilité…


Tu dois donc bien comprendre que tout cela rend la promiscuité avec la mort plus lourde à supporter. La mort laide et sale, et donc la mort cachée, a fait son entrée sur la grande scène de notre vie moderne… Moi qui te connais bien, je suis venu te voir mais il est vrai qu‘un sentiment diffus de malaise planait sur nos rencontres… A mon corps (et esprit) défendant...

Moi le visiteur occasionnel, je me sentais de trop dans ce ballet ininterrompu des rites hospitaliers: allées et venues, perfusions, fébrilité, isolement, paravent, malaise et métal froid, omniprésence du blanc, du pur, du non souillé auquel tu faisais offense, sourires contraints, solitude, sans objets et amis chers, phrases toutes faites et condescendantes, “Comment il va, le p'tit monsieur aujourd’hui ?"… Pauvre Jean, à peine occis, même pas encore réincarné, et l’on te parle déjà comme à un enfant (ou à un débile peut-être à cause de ton karma peu reluisant). Et le temps passe... Et l’hôpital, fait pour guérir, s’acharne à esquiver la mort qui consacrerait son propre échec …

Ce que tu vis là, de cette façon, ces derniers instants, un homme du Moyen Age les aurait qualifiés de « mauvaise mort  ». La mort maudite d’autrefois était la mort inaperçue, sans conscience... Curieusement, elle est devenue la bonne mort, la belle mort d’aujourd’hui. « Il est mort dans son sommeil.. » « Il a eu une belle mort, il ne s’est pas réveillé… » La mauvaise mort, au yeux du personnel, est celle de celui qui sait, qui proteste et se révolte...

La dissimulation s’installe et l’on ne peut plus se préparer au départ comme par le passé. L’heure des derniers adieux, des dernières recommandations, heure intime ou solennelle en public, fait partie d’un passé révolu. On part sans rien dire...
Alors, Jean, un dernier effort, n’as-tu pas compris qu’il vaut mieux mourir discrètement, sans qu’on s’en aperçoive, à l’abri des regards, sans perturber le service… Hôpital ! Silence…


Et c’est dans le silence que tu nous as quittés… Dans quelques jours viendra le temps des funérailles. Je vous laisse méditer un peu et boire un p'tit remontant avant de passer aux réjouissances... dans peu de temps.



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