Père de famille expliquant la bible à ses enfants (Greuze)
D'abord
un petit flash back en ce qui concerne la famille et les
rapports entre générations…
Les
garçons, au Moyen Age, quittaient très vite le monde féminin.
L'époque de Tanguy était encore lointaine. La vraie vie, faite de
sociabilité, de solidarité s'exprimait à l'extérieur.
L'adolescence était alors un stade d'apprentissage et d'intégration
au sein de groupes de jeunesse appelés Royaume, Fraternités,
Bachelleries… Cette appartenance constituait un rite de passage
entre l'enfance et la vie adulte. Un moyen d'échapper à la
tutelle étroite des adultes, d'attendre aussi le mariage (car la
concurrence est rude), de compenser en affirmant sa virilité:
bagarres avec les bandes des villages voisins, relations avec les
prostituées (eh oui, la chair est faible. 3 pater en échange…),
dénonciation des adultères ou des maris cocus ou même des maris
battus par leur femmes au cours de virées nocturnes tapageuses sous
les fenêtres des concernés (ce qui n'était pas du goût de
l'intéressé, on s'en doute), somme d'argent réclamée aux veufs
remariés ou aux conjoints venus d'ailleurs, les bougres !... Rôle
essentiel des jeunes dans les fêtes de Mai ou de la Saint Jean. Vous
pouvez remarquer que rien n'était prévu si le mari battait sa
femme… puisque c'était conforme à la coutume. Damned ! Fallait
pas en demander trop quand même…
Ainsi
le rural n'est pas torturé par sa propre conscience, l'essentiel est
d'adhérer aux normes collectives. La vraie peur vient d'un mépris
possible de la collectivité envers soi, pas du péché individuel…
Le curé du village n'a pas toujours la partie belle. Les jeunes
célibataires jouent ainsi à se conformer à ce que l'on espère
d'eux en tant que futurs hommes mariés. Ils apprennent les règles
du patriarcat. Ils jouent en fait le rôle de régulateur (rien de
plus conformiste en fait !).
C'est
aussi un moyen d'éviter les conflits de génération et de détourner
les frustrations imposées par les pères vers leurs alter ego
étrangers, les autres jeunes. Une violence des jeunes gens à marier
est donc permise, canalisée, régulée dans un système traditionnel
qui sera déséquilibré par l'irruption de la justice et de la
pénalisation.
Il
n'y a donc pas de culpabilité intégrée dès l'enfance : en dehors
du cadre du travail où là ça ne rigole pas, le père s'efface et
la formation de la personnalité se fait hors de la famille.
Avec
l'irruption du moralisme, les valeurs du couple conjugal, de
la famille au sens strict vont peu à peu remplacer les solidarités
rurales qui ne peuvent plus fonctionner, d'abord à la ville, puis
dans les villages à fortes tensions où l'on brûle les sorcières.
Désormais, la famille sous la tutelle totale du père/mari, va
condenser, bon gré mal gré, amours et passions potentiellement
destructrices qui, auparavant, pouvaient s'extérioriser dans les
solidarités de jeunesse. On va commencer à «laver son linge sale
en famille»...
Par
ailleurs, est-il étonnant de voir s'intensifier la chasse aux
«sorcières» au moment où la position de la femme dans la société
se dégrade et que celle des pères s'affirme ?… Evidemment, tout
cela est variable et se fait inégalement dans le temps et dans
l'espace.
Les
super-pères apparaissent sous l'égide d'un super-roi, le père à
tous par excellence. Le tout couronné par un super-Dieu le Père
punissant sans pitié les déviants… Le temps de la culpabilisation
et le sens de la faute sont venus. La voie est libre, une voie
royale si j'ose dire…
Rappelons
nous le Chevalier de la Barre exécuté en 1776 en place publique (
le poing coupé, la langue arrachée avant de se faire décapiter et
d'être jeté au bûcher) et que Voltaire tenta de réhabiliter.
C'est le cas typique. Geste d'un libertin contre l'autorité
religieuse (blasphème), révolte d'un noble contre l'autorité
royale et révolte d'un jeune (il a 19 ans) contre l'autorité du
père… Les rebelles contre le roi étaient d'ailleurs accusés «de
crime contre leur père» !
Evidemment,
cette tutelle des pères deviendra insupportable lorsqu'elle ne
conduira plus à l'insertion sociale promise. On en sait quelque
chose aujourd'hui… Il faudra attendre quand même le 20ème siècle
pour que la femme conquiert ses droits et que volent en éclat
certaines pesanteurs. Mai 68 n'est pas encore pour demain ...
On
a ainsi mis en place des forces convergentes permettant de créer une
conscience nationale en uniformisant la société autour de figures
simples, proches de l'archétype, au détriment des particularismes.
Chaque père devient l'agent inconscient de l'autorité à laquelle
il peut faire d'ailleurs appel en demandant une lettre de cachet de
sinistre réputation. Ainsi au 18ème siècle, le cadre
institutionnel est en place, prêt à fonctionner. La propagande s'en
donnera à cœur joie: coercition par les intendants, juges,
officiers, autorité des chefs de famille, pression du clergé…
Un
rôle important sera joué par une littérature de colportage
éditée par la Bibliothèque bleue de Troyes Une littérature
populaire, une imagerie populaire vendue dans les villages, véritable
prémisse d'une culture de masse qui vulgarise l'idéologie dominante
(obéissance, humilité, peur de la mort, contes et fééries pour
faire oublier la dure réalité, absence de passion, de plainte et de
révolte, modèle de l'homme humble et vertueux et... de la femme
soumise). Comme quoi le formatage des esprits n'a pas attendu la
télévision !… On propage par l'alphabétisation l'image d'un
meilleur des mondes possibles, moral, hiérarchique, immobile… A
l'inverse du rôle qu'il jouera au 19ème siècle avec Jules Ferry,
l'écrit agit comme un levier pour casser la cohésion de l'ancien
monde oral et communautaire dont on ne veut plus …
Les
villageois qui savent lire les oeuvres impérissables de la
Bibliothèque bleue de Troyes se sentent aspirés vers la haut et la
fracture ne fait que s'agrandir.
Mais
il y a aussi des poches de résistances. La révolution de 89 et le
19ème siècle positiviste vont aussi imprimer leur marque. Nous
découvrirons cela dans l'épisode suivant, l'épisode 8…
L'épisode
9 et 10 (le dernier, enfin !) ne seront plus historiques mais
contemporains et émaillés de réflexions plus personnelles sur les
problèmes posés par la confrontation identité nationale/identité
particulière.
Par
honnêteté intellectuelle, je citerai, pour la partie historique,
les sources qui m'ont été bien utiles à la fin du dernier épisode.
A
demain si vous le voulez bien !
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