Mais
comment faire ?
On
va donc inventer purement et simplement une anti-religion
organisée, une religion satanique pour mieux cristalliser, par
opposition, l'image de Dieu. Une pure invention des théologiens et
des juges !... Des traités très sérieux de démonologie seront
écrits pour théoriser et mettre en place des pratiques que nous
trouverions aujourd'hui révoltantes ou incongrues. .
Quoique
… Bush et l'Irak par exemple étaient encore bien loin mais la
ficelle des fausses accusations construites de tout pièce pour
justifier ses actes était donc déjà bien connue… Diaboliser
l'ennemi … Quant à Satan justement, il a encore de beaux jours
devant lui: ne distingue-t-on pas encore aujourd'hui l'Axe du Mal
pour certains et le Grand Satan pour d'autres ?
Mais
je m'égare ou plutôt j'anticipe sur les derniers épisodes...
Revenons à nos moutons ou plutôt à nos démons.
Au
cours des procès, les témoins ne font, en premier lieu, aucune
allusion à des pratiques sataniques. Ils évoquent, au premier abord
(avant qu'on leur chatouille les pieds ou mieux qu'on les expose
au-dessus d'un lit de braises), seulement des rites, des maléfices,
des sorts, attirail coutumier, ancestral du guérisseur de village.
Mais, après un interrogatoire un peu plus musclé, (je vous passe
les détails par respect pour les cœurs tendres qui me lisent
peut-être) comme par enchantement, les allusions à Satan deviennent
claires et nettes !… Des pratiques coutumières bien inoffensives,
mais dans la bouche des juges et dans les compte-rendus de procès,
irrémédiablement reliées à Satan… Ce cher Harry Potter n'aurait
pas fait "long feu" à l'époque ainsi que son auteur.
La
sorcellerie alliée du diable est une pure invention de l'accusation
pour mieux vaincre la culture populaire à travers sa figure
archétypale, la guérisseuse devenue «sorcière»… D'ailleurs,
n'y voyait-on pas la marque du démon lorsque l'on trouvait sur la
malheureuse une cicatrice ou un grain de beauté qui décidément
«sentait trop le soufre» ? Et dans cette bonne cité d'Allemagne,
lorsqu'on jetait à l'eau «l'âme damnée» ligotée et enfermée
dans un sac, ne voyait-on pas que Dieu lui donnait tort ...
puisqu'elle ne survivait pas !… Justice expéditive et imparable.
Avec «God on our side» (disait Dylan), on n'a jamais tort…
Prenons
un exemple type : le procès de
Nisette, jugé à
Vieil-les-Hesdin dans le Nord en 1573. La «sorcière» est souvent
une vieille femme, pauvre et seule, illettrée, déviante
sexuellement (3 époux !), déviante socialement (3 mariages dont 1
avec un étranger au village qui devait habiter au moins à 30 km !
La pire des choses...), marquée par le malheur (perte d'enfants) et
guérisseuse (elle sait utiliser les plantes). Tout pour plaire...
Le
stéréotype de la «sorcière» présente donc l'inverse des
nouvelles valeurs sociales: elle propage la vieille culture. Il
n'y a qu'un pas pour qu'elle devienne l'exutoire, le bouc émissaire
désigné par les villageois les plus riches avides de correspondre
aux nouvelles normes (pensez à notre cher "bourgeois
gentilhomme") ou ceux qui culpabilisent de ne pas pouvoir
adhérer pleinement au nouveau modèle imposé, faute d'un magot
assez garni. René Girard a beaucoup écrit sur ce désir mimétique,
le désir de désirer ce que l'autre désire, et le processus qu'il
engendre pour apaiser les conflits, la mise à mort de la « victime
émissaire »...
De
plus, la «sorcière» est souvent une femme donc dangereuse
par nature (Eve est passée par là) et elle est veuve donc
doublement dangereuse car libre et réputée insatiable sexuellement
(capable d'absorber l'énergie masculine de ces pauvres messieurs non
consentants!).
En
dénonçant la sorcière, on se démarque: elle
focalise sur sa personne les peurs, les doutes, la mauvaise
conscience. Un bon bûcher bien visible prouve aux autorités qu'on
est bien dans la ligne espérée. On réchauffe aux flammes sa
conscience frileuse, les braises encore fumantes des corps consumés
sont la preuve que nous sommes du côté des «bons», les
dénonciateurs, les conformistes, les "modernes"... On a
l'impression d'avoir déjà entendu cela il n'y a pas si longtemps …
sous Vichy par exemple.
Et
n'oublions pas que la malheureuse, torturée par le « séculier»
(le clergé se contente des procès), voit son âme ainsi sauvée au
dépens bien sûr de son corps calciné. On ne peut pas tout avoir.
Le bûcher est donc un acte exemplaire pour le peuple (voilà ce
qu'il faut renier !) et un acte de piété et de salut (paix à
son âme !)...
On
a pu distinguer 3 types de situation:
-Dans
les communautés en évolution, là où les riches laboureurs
commencent à dominer, là où les laboureurs de condition moyenne
diminuent, les tensions sociales sont fortes. Il y a persécution.
-Quand
le processus de domination est accompli, les riches laboureurs
règnent en maîtres. Pas de chasse aux «sorcières». Les boucs
émissaires, les bûchers sont inutiles.
-Quand
il n'y a pas de riches laboureurs, seulement des laboureurs moyens ou
petits paysans, les tensions sont moins vives. Pas de dénonciations…
Il
y a donc dénonciations tant que les reclassements sociaux et mentaux
ne sont pas stabilisés.
Ainsi
le monde rural a résisté longtemps à l'intrusion d'une vision
du monde étrangère et coercitive. A la fin du 17ème siècle,
la chasse aux sorcières s'arrête. Elle n'a plus de raison d'être.
La paysannerie est soumise, du moins en apparence. Bien sûr, il y
aura encore des révoltes paysannes, souvent contre l'impôt. Les
fameux « bonnets rouges » fort en vogue en ce moment par
exemple ...
Mais
des processus mentaux irréversibles se sont imposés même si
des poches de résistances subsistent. Nous les mettrons à jour
bientôt dans notre prochain épisode si vous le voulez bien.
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