Dans l'espace, l'Etat
français s'est construit progressivement sur un mode centralisateur,
à coups de guerres, de stratégies matrimoniales, d'héritages,
d'alliances. Et à partir du 15ème siècle, être français c'est
choisir le roi de France. C'est du moins la thèse des manuels
d'histoire… Mais cette politique s'est bâtie sur du vivant. C'est
drôle comme les politiques semblent toujours l'oublier. En effet,
qu'en était-il des individus disséminés dans ce beau royaume de
France dont Voltaire dira « qu'il n'y a nul pays au monde où
l'on trouve tant de contradictions ». Une identité ne se
construit pas seulement à coups de traités, les frontières tracées
sur les cartes sont aussi des peuples, des familles, séparées,
écartelées, disséminées au nom de la volonté d'unification de
ces messieurs …
Ainsi, peu à peu,
l'idéologie des minorités dominantes va s'imposer lentement comme
étant la référence obligée et nécessaire de tout un peuple. Une
vaste opération de propagande où tous les coups seront permis !…
L'élite va peu à peu se distinguer du vulgaire, s'affichant comme
modèle, produisant un code de civilités issu des milieux de Cour
qui s'ancrera ensuite progressivement dans les villes en extension,
créant une identité peu à peu collective mais aussi … des
résistances !...
Vous pourriez
m'objecter: ce n'est pas nouveau !
En effet, les
inégalités sociales existent depuis l'aube des civilisations mais
chacun restait à sa place, les rôles étaient distribués ainsi et
l'on faisait avec..., l'idéologie catholique aidant (le paysan pour
trimer, le seigneur pour batailler, le clerc pour sauver les âmes
des précédents). Et des constantes collectives traversaient les
corps sociaux. Un monde relativement figé que Dieu, dans sa grande
bonté, nous avait concocté. Ce qui apparaît ici comme novateur dès
le 16ème siècle, c'est cette volonté de tout unifier sur un seul
modèle vers lequel chacun s'efforcera (ou sera contraint) de tendre,
avec plus ou moins de réussite…
Mais d'abord (effet de
mise en scène): Flash back ! …
Vers la fin du Moyen
Age, la société reste une société où, globalement, paysans ou
nobliaux de province, petits bourgeois ou artisans, chacun se
reconnaît encore plus ou moins l'un dans l'autre, au sein de
pratiques collectives, de goûts communs qui traversent toutes les
couches sociales. Violence, brutalité, grossièreté, relative
licence sexuelle, manque d'hygiène et de pudeur, xénophobie aiguë
sont le lot de chacun… Même si certaines nuances apparaissent ça
et là : l'humanisme naissant et l'individualisme ne sont le fait que
de minorités éclairées.
Le village, et même
la ville, est un lieu clos auquel chacun est viscéralement attaché
et la violence est souvent exacerbée entre groupes voisins, les
jeunes de villages proches par exemple. On n'a pas de quoi s'ennuyer
! ...Les identités semblent se structurer en s'opposant
agressivement aux autres. Mais à l'intérieur du village même, les
tempéraments restent tout aussi extrêmement chatouilleux. Les
combats à la taverne entre voisins sont légions. Ainsi les petites
réjouissances musclées qui font la une de nos journaux télévisés
ne datent pas d'hier mais elles étaient plus généralisables à
toute une société, moins circonscrites. La justice intervient assez
peu et les gens passent leur temps à s'apaiser mutuellement. Mieux
vaut une bonne petite paix conclue entre parties autour d'une chopine
qu'une intervention extérieure des gens de loi. On n'est jamais
mieux servi que par soi-même...
Il en est de même pour les nobles, même
si une petite frange de courtisans s'est raffinée au contact des
Italiens. Leurs mœurs restent tout aussi rudes et violentes. Le
petit noble joue avec les vilains sur la place du village, parle leur
langue et partage leurs mœurs…
Si vous n'êtes pas encore atteint de narcolepsie galopante, je
vous conseille de faire une pause et de déguster un café bien serré
non décaféiné avant d'aborder la suite.
Chaque civilisation a aussi ses codes corporels qui sont tout à
fait relatifs. En effet, si, par le biais de la machine d' H.G.
Wells, nous nous retrouvions face à un individu du 15ème siècle,
on éprouverait un malaise certain. Il nous paraîtra sale, un peu
sauvage, indécent, et ceci vaut autant pour les masses que pour les
élites. Le monde de l'époque devait être particulièrement odorant
! L'Oréal n'était pas encore passé par là et personne, à
l'époque, ne le valait bien...
Mais c'est peut-être sur ce plan que la rupture sera consommée
en premier, entre le paysan qui apparaît de plus en plus comme
rustaud, sale et vulgaire et le noble ou le bourgeois qui se voudront
de plus en plus policés. Les puanteurs sont dites sulfureuses, c'est
l'œuvre du diable et les pestes et épidémies ne semblent pas avoir
une relation directe avec l'hygiène mais semblent résulter d'une
conjonction des astres et de la volonté divine !… Merci mon Dieu
!… Quelques massacres opportuns de Juifs aidaient souvent à régler
le problème... Paradoxalement, même si l'Eglise tente d'imposer l'image du corps
nu honteux et qu'il faut cacher, scatologie, paillardise, blasphème,
licence sexuelle sont monnaie courante… Quelques Ave et 3 Pater
nous réconciliaient avec Celui d'en Haut… après avoir trop côtoyé
Celui d'en bas.
Tout cela est donc ancré dans la mentalité collective jusqu'au
moment où la justice et la morale religieuse décideront de
criminaliser, punir et refouler ces manifestations de vitalité des
corps un peu trop expansives au goût de certains…On commence, dans
certaines couches sociales, à froncer les sourcils, se pincer le
nez et arborer des moues dédaigneuses.
Le mélange des genres va pouvoir commencer… avec ses
incertitudes, ses hésitations ainsi que ses affrontements.
Suite
dans l'épisode 3, si vous le voulez bien, afin de voir comment notre beau pays va tenter de
s'unifier dans la « paix et la concorde »...
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